3 questions à… Jason Lewis
Depuis le premier tour du monde de Magellan (en 1522), la terre est devenue un endroit familier. Où que vous alliez, quelqu’un est pratiquement toujours passé avant vous. Ce qui change, ce sont les manières de parcourir la planète. Le 12 juillet 1994, le Britannique Jason Lewis vendait sa buanderie pour entreprendre la première circumnavigation à la seule force humaine. Un pari réussi… en treize ans, 74 408 km et presque autant d’aventures!
Comment avez-vous réussi cette circumnavigation du globe?
Notre idée à moi et Steve Smith, qui a été mon compagnon de route pendant six ans, était de faire un tour du monde à la seule force humaine et d’y ajouter d’autres dimensions, comme le lancement de programmes éducatifs ou un aspect « participatif ». À plusieurs reprises, nous avons impliqué dans notre aventure des gens qui n’avaient jamais pédalé plus loin que le dépanneur du coin. Avant de partir, il nous a fallu cinq ans pour collecter des fonds (ce qu’on a dû continuer à faire tout au long du parcours…) et mettre au point Moksha, notre embarcation équipée d’un pédalier. C’est parce qu’on ne savait pas du tout ce qui nous attendait qu’on a tenté notre chance. Ce n’est pas un hasard si nous avons choisi comme emblème un personnage de bande dessinée Hägär Dünor, Le Viking, pour qui l’inconscience est mère de l’aventure. Si on n’avait pensé qu’à l’objectif final, en connaissant toutes les difficultés qui nous attendaient, on aurait abandonné avant même de commencer! Au final, ce n’est pas le dernier jour qui compte, mais tout le chemin parcouru.
Quelles ont été les épreuves les plus difficiles?
Pédaler pendant des mois à travers un océan est tout simplement intenable. L’ennui et la sensation d’enfermement sont incroyablement prenants. En mer, les sujets les plus futiles peuvent se transformer en dispute… parce qu’il n’y a absolument rien d’autre à faire. Après avoir pédalé pendant quelques heures, on se récompensait avec une tasse de thé, une barre de chocolat ou un coucher de soleil. En arrivant à Hawaï après six ans de voyage et un naufrage qui a failli lui coûter la vie, Steve a décidé de quitter l’aventure. J’ai continué. Et la vie, seul, en mer s’est révélée encore pire qu’à deux. Pris dans un courant contraire, perdant chaque nuit les miles parcourus dans la journée, j’ai commencé à devenir fou. J’avais une attitude, une voix différente selon le personnage qui m’habitait. Et, pour ajouter aux troubles, j’ai contracté une septicémie [NDLR : Un empoisonnement du sang]. En treize ans, il y en a eu des moments difficiles : une collision avec une voiture où j’ai eu les deux jambes fracturées, un interrogatoire de quatorze heures en Égypte où j’ai été pris pour un espion soudanais, un combat avec un crocodile… Mais, le plus important pour moi, ce n’était pas la difficulté ou la performance, c’était l’aspect spirituel et émotionnel de ce voyage.
Comment vit-on la fin d’un tel périple?
Sur l’océan ou dans le bush australien, c’est là qu’on se rend compte qui l’on est vraiment. C’est le monde, étonnant et sauvage, qui m’a permis de me découvrir et de m’ouvrir aux autres. L’Angleterre n’a jamais été un endroit confortable pour moi, je m’y suis toujours senti comme un marginal. En atteignant Londres, en octobre 2007, j’ai achevé une quête personnelle incroyable. Mais, dans le sens où la société l’entend, je ne possède pas grand-chose aujourd’hui : je n’ai pas d’attaches hormis ma famille et pas de plan de carrière. À mon retour, j’ai reçu plusieurs propositions, comme d’animer une émission de téléréalité ou de signer mon autobiographie… écrite par un autre. Malgré l’état de mes finances, j’ai refusé. J’ai voulu vivre une aventure avec du sens et je ne pouvais pas la laisser au plus offrant. Surtout, j’ai réalisé que le voyage n’était pas terminé. Ce livre, je me dois de l’écrire. Il représente beaucoup de choses pour moi. C’est une étape – ou une épreuve, selon les jours – qui me reste à franchir. En replongeant dans mes carnets de notes, c’est comme si je rouvrais une boîte fermée à double tour. L’écriture a ravivé les traumatismes que j’avais dissimulés dans un coin de ma mémoire pour pouvoir aller jusqu’au bout. Il y a environ quatre mois, on m’a diagnostiqué un état de choc post-traumatique et j’ai traversé une grave dépression. Mais, c’est ce cheminement intérieur que je voudrais refléter dans mon livre. Dès l’enfance, on bride nos sens, on formate nos esprits, on nous nourrit d’illusions. Or, il y a mille manières d’appréhender le monde qui nous entoure, de se sentir en accord avec lui. Et je crois que c’est cette conviction très forte qui m’a permis de ne jamais abandonner, et de comprendre qui je suis vraiment.
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