Ski de haute route - Trouver sa voie
Gagner le sommet à la sueur de son front… L'exigence cardio du ski de haute route attire un nombre croissant d'amateurs de montagne aussi en quête de silence absolu et de fun… mérité! Les télésièges, téléphériques et autres téléskis ont peu à peu harnaché les reliefs de nos montagnes, pour ne conserver du ski que la grisante descente sur piste damée façon tapis de billard… Pourtant, le bonheur existe aussi en montant! Surtout quand le terrain de jeu est un champ de poudre fraîche, loin des centres de ski! À mi-chemin entre son cousin de fond hors-piste et le ski alpin, le ski de haute route se distingue avant tout, côté équipement, par sa fixation hybride. Mobile à la montée, mais maintenant le talon en mode alpin à la descente. Muni de peaux de phoques ajustées sous les planches, le skieur est alors seul avec ses jambes et son coeur face au dénivelé! Sport de masochiste de l'avis d'observateurs lointains, il procure à tous les convertis des sensations intenses, des plaisirs bruts et rares... Partir au petit matin et voir les sommets s'éclairer alors que l'on monte encore dans l'ombre... Voler du regard la beauté des paysages dans ce silence incroyable et, après l'effort, éprouver la satisfaction ultime d'une glisse en pleine nature!
Invitation au voyage
Baptisée « ski de haute route », Alpine Touring, back country skiing, « ski alpinisme » ou encore « ski de randonnée » cette pratique a permis de redécouvrir, à la fin du XIXe siècle, le moyen de locomotion qu’était le ski à ses ancestrales origines, 2000 ans avant notre ère[1] ! L’objectif était alors de chasser planches aux pieds, en voyageant d’un point à un autre à travers des massifs inhospitaliers. Plusieurs milliers d’années plus tard — en 1888 —, un raid exploratoire d’est en ouest à travers le Groenland fait découvrir le ski à tout l’Occident, ainsi que l’usage des peaux de phoques. On peut désormais remonter les pentes, mu par sa propre énergie! Cent ans après cet exploit sportif[2], l’activité s’est répandue à toutes les contrées montagneuses, mais n’est encore adoptée que par une communauté restreinte de skieurs. Au Québec cette pratique est presque confidentielle... François Roy,guide de montagne[3] dans les Chic-Chocs, signale que l’appellation est« mal adaptée à la réalité québécoise, car concernant plutôt des itinéraires en milieu alpin, bien au-delà de la limite des arbres et ponctués de glaciers ». Si ce type de paysages ne caractérise pas notre province, les pentes hors-piste existent cependant un peu partout et leur conquête, relancée par les télémarkeurs « libres » profite à l’essor du ski back country…
Règle n˚1 : la sécurité
Cette approche skilistique, si séduisante soit-elle, implique d’abord une attitude de montagnard averti. Par nature, « iln'y a pas de chemin apparent, le skieur fait sa trace. C'est l'un des plaisirs, mais aussi l'un des risques! »remarque Claude Wolter, féru de haute route depuis l’époque des skis en bois. « Et la grosse peur, c'est l'avalanche! ». Le mot est lâché! L’impératif de cette activité hivernale est sans conteste la SÉ-CU-RI-TÈ. En territoire hors-piste, les coulées de neige ne sont pas des faits isolés, et la création du Centre d’avalanches de la Haute-Gaspésie à l’automne 1999 n’est pas un hasard. « Nous en sommes aux prémices de cette sécurité-là au Québec car avant, personne n’allait dans ces zones très avalancheuses! » observe Dominic Boucher, instigateur principal de l’organisme, affilié à l'Association canadienne des avalanches. Si « l’équipement permet d’aller partout, il est donc important d’expliquer les risques que ça implique aux clients » souligne encore Mathieu Barré, gérant « responsable » du secteur « alpinisme » au magasin Le Yéti de Montréal. D’ailleurs, dans le nécessaire de départ, les indispensables peaux de phoque – aujourd’hui synthétiques — côtoient un trio devenu aussi incontournable : la pelle, la sonde et l’ARVA (Appareil de Recherche des Victimes en Avalanches) émetteur-récepteur, porté sous les vêtements. Le préalable pour pratiquer le ski de haute route passe donc idéalement par une séance de formation[4] aux connaissances basiques en matière de neige, d’orientation et, plus largement, de comportement à adopter en montagne. Suivre les traces d’un guide agréé s’avère une bonne solution de départ pour goûter aux premières sensations…
[1] Des gravures rupestres représentant des chasseurs à skis ont été découvertes en scandinavie, qui dateraient de 2000 ans avant JC.
[2] Voir encadré Le saviez-vous.
[3] François Roy offre à travers son entreprise Vertigo Aventures divers forfaits pour découvrir les Chic-Chocs par les chemins de traverse.
[4] Voir l’encadré « Sécurité » pour plus de détails.
Une mecque au Québec
Traversé pour la première fois dans les années 1970 par une équipe de pionniers québécois[1] de la discipline, le massif escarpé des Chic-Chocs, recouvert de plusieurs mètres de poudreuse cinq mois par an, demeure LA destination « haute route » de ce côté-ci du pays. À l’automne dernier, sous l’impulsion du Centre d’avalanche, le parc national de la Gaspésie a installé des panneaux de signalisation aux approches des secteurs hors-piste situés autour du mont Albert et dans la réserve faunique des Chic-Chocs.« Il s’agit de faire prendre conscience aux gens de l’environnement avalancheux qui les entoure… » explique François Boulanger, directeur du parc.
Cet effort de sensibilisation semble confirmer une reconnaissance plus marquée de la SÉPAQ pour cette pratique de la glisse sur ses espaces naturels, reconnaissance qui se traduit aussi par le développement de nouveaux secteurs hors-pistes. Ainsi, le sous-bois situé sur le flanc ouest de la large combe vierge baptisée Champ de Mars a été éclairci cet été pour faciliter son accès, et l’an prochain, c’est un nouveau domaine du mont Hog's Back, moins exposé aux avalanches et de niveau moins avancé, qui sera nettoyé.
Non loin de là, un après-midi de mars dernier, sur une pente du mont Logan, Jacques Bouffard et Gilbert Rioux, membres de la cordée de 1974, me guident pour une petite initiation…
L’autre façon de skier!
La pause des peaux sur la semelle des skis est l’étape à peaufiner! Il faut tenter de bien les faire adhérer sur la longueur, afin d’assurer un maintien durable. La sorte de colle qui les nappe perd de son efficacité une fois mouillée... Et sentir la peau lâcher en montée n’est pas un cadeau! J’enclenche enfin mes bottes dans les fixations en mode haute route : seule la pointe des chaussures est fixée au ski, libérant le talon pour marcher. Nous avançons sous les flocons dans une poudreuse fraîche et profonde au fil d'un faible dénivelé d'environ 150 mètres.
La tâche de l’ouvreur est toujours plus ardue, et les diverses qualités de neige — soufflée, croûtée, lourde ou légère — pimente plus ou moins son rôle. C'est pourquoi les équipiers alternent en général cette position en tête. Autour de nous, la forêt figée inspire l’apaisement. Pour ménager le travail des mollets et des cuisses, les cales de montée à l'arrière des fixations permettent de raccourcir la course du talon, qui s’abaisse dessus en cadence. Allégé et ergonomique, l’équipement a beaucoup évolué en une vingtaine d’années, délestant le skieur de plusieurs kilos. Un gain qui a optimisé du même coup la performance et l'accessibilité. Cela dit, « il vaut mieux avoir une bonne condition physique, car on grimpe 90 % du temps,m’avait prévenu François Roy, les gens ayant un penchant pour la randonnée ou le ski de fond auront un net avantage et pourront skier jusqu'à 1200 m de dénivelé par jour ». Je rumine ces sages considérations en me concentrant sur ma respiration, tâchant d'oublier que ski signifie « bûche » en norvégien...
Le ciel se rapproche lentement mais sûrement et l'effort semble s'alléger à mesure que le rythme des pas devient plus régulier. Enfin c’est le sommet! Après une courte pause contemplative face au panorama grandiose mais bouché, chacun retire les peaux de phoques de ses skis en prenant soin de faire tomber les derniers cristaux encore collés sur les peluches. L'entretien soigné du matériel fait partie du rituel de tout bon skieur de haute route!
Le rétablissement des fixations en mode alpin se fait d’un simple geste. L’heure du dessert a sonné! Un minimum de technique et d'aisance sur piste et en sous-bois, quelle que soit la qualité de neige, sont des préalables indispensables pour s’initier en toute quiétude. Skieuse de l’ancienne école, je m’élance dans la pente en retrouvant mes réflexes du passé! Serpenter entre les sapins, s'amuser des bosses et simplement se laisser glisser, entraînée par la pente est un régal euphorisant! Chacun choisit son chemin, dérangeant le profond recueillement et jubilant de plaisir. Le bruit n'existe plus, assourdi par le tapis blanc. Je passe près du ravage de l'orignal que nous avons surpris tantôt en montant. Arrivée en bas, je me dis que la parenthèse était décidément trop courte! Alors, encore tout grisés de notre virée sauvage, nous votons à l’unanimité pour une nouvelle montée avec les peaux, pressés de s'en payer une autre tranche…
[1] Cette première en haute route est réalisée par Jacques Bouffard, Gilbert Rioux et Paul Larue. Voir le dossier Les Québécois et l’aventure, Espaces Septembre 2005, disponible sur le www.espaces.ca
REPÈRES
#1Un amateur peu entraîné parcourt 250 mètres de dénivelé positif par heure, quand un compétiteur de haut niveau en fait 1400.
Où tenter l’expérience haute route :
1) Dans les Chic-Chocs :
- Les entreprises de guides Vertigo Aventures et Karavaniers du Monde offrent des forfaits d’initiation et de perfectionnement. Matériel à la location ou inclus dans le forfait. www.vertigo-aventures.com et www.karavaniers.com
- L’Auberge de montagne des Chic-Chocs inclut dans ses forfaits des sorties guidées en ski de haute route ainsi que des cours d’initiation aux avalanches, avec tout le matériel fourni. Séjour de trois nuits minimum. www.chicchocs.com
2) Plus près des villes :
La station de ski du mont Glen dans les Cantons-de-l’Est sera encore fermée cet hiver! Profitez, avec éthique et respect, de ces 300 mètres de dénivelé! Accès : autoroute 10 jusqu’à la sortie 90, puis route 243 Sud; tournez à gauche après Knowlton.
D’autres repaires hors-pistes sur notre site Web au www.espaces.ca dans les rubriques Destinations
Idée en prime! Allez visiter des forums comme celui de www.windplanet.com. Accro de télémark; Michel Beauchemin signale un endroit– pour experts — accessible en bus depuis le centre-ville de Québec dans le secteur de Cap-Rouge. Extrait : « Après 20 minutes de randonnée, j'enlève mes peaux : devant moi, un talus de près de 50 mètres de dénivelé et une pente d’environ 50° offre un champ de neige dont la fin est à une quinzaine de mètres de la banquise sur les bords du fleuve! ». Pour plus de détails, contactez l’intéressé, car le terrain très pentu peut être avalancheux.
3) Dans les centres de ski :
Le Massif du Sud, les monts Orford, Sutton, Comi ou Jay Peak, dans le Vermont, offrent de bons terrains hors-piste pour s’essayer à la montée en peaux de phoques.
LE SAVIEZ-VOUS?
- C’est Fridtjof Nansen, originaire de Christiana - ancien nom de la capitale norvégienne Oslo - accompagné de trois autres skieurs qui traverse le premier le Groenland à skis en 1888, soit 500 kilomètres et des centaines de mètres de dénivelés parcourus en deux mois par -45˚C!
- En 1903, Chamonix est le point de départ d’une course à skis, qui rallie le village perché de Zermatt dans le Valais suisse. Baptisée « Haute Route » cette course donnera ainsi son appellation officielle à la discipline.
SÉCURITÉ
Le Centre d’avalanches de la Haute-Gaspésie dispense des formations sécurité de deux jours partout au Québec. Renseignez-vous sur la prochaine session près de chez vous!
Info : www.centreavalanche.qc.ca
MATÉRIEL
Les peaux de phoques : appelées aussi peluches anti-recul, elles sont conçues en matière mohair (poils de chèvre) ou synthétique.
Les skis de haute route :allégés au centre pour une souplesse sur toute la longueur, qui facilite le mouvement en poudreuse (mais des skis alpins peuvent faire l’affaire pour débuter).
Les bottes : en dépannage, on peut utiliser les mêmes que pour le ski alpin, mais les bottes spécifiques pour la haute route ont les caractéristiques suivantes : coque légère et chausson thermoformable, semelle crantée au berceau arrondi et rigidité au ratio confort/précision équilibré et performant, système de levier arrière pour adapter l’angle d’attaque à la phase de montée ou descente.
L’Alpine trecker : sorte de « sur » fixation qui s’adapte sur la fixation alpine. Souvent disponible à la location, cet accessoire peut donner une bonne idée du sport pour une première montée en peau. Cela dit, il est moins ergonomique et peut causer une désagréable sensation d’inconfort.
La fixation : en un seul tenantrelié par une tige centrale en aluminium ou carbone, pivot simple pour la plupart, qui reproduit le mouvement du pied en marche. Soumise aux torsions, les fixations doivent être robustes.