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  • Jackson Hole Mountain Ski Resort dans le parc national de Grand Teton © Adobe Stockl

Parc national de Grand Teton : skier sous le vent du Wyoming

Au parc national de Grand Teton, le ski de montagne peut être à la fois exaltant et éreintant. Retour sur deux jours d’expé sous un pactole de flocons déferlant à profusion.


Quand je les rencontre au point de rendez-vous du village de Jackson Hole, Mack et Pete ont apporté leurs crampons et leurs piolets. Après tout, le programme de la journée n’a pas encore été établi et nous partons tous skier avec Adam. « Ce gars-là est une légende dans la région, alors on s’attend à tout! » m’expliquent les deux skieurs en enfournant du matériel dans leur sac à dos.

Quand il n’est pas guide pour Exum Expeditions, Adam Fabrikant part faire du ski-alpinisme au Pakistan ou sur les flancs du Denali, entre autres lieux hors du commun. Alors pour lui, deux jours de ski de montagne avec bivouac sous la neige au Grand Teton National Park, c’est du petit lait de yak.

Même s’il est surqualifié pour notre modeste expé organisée dans le cadre de la Arc’teryx Backcountry Academy, tout le monde est bien heureux de l’avoir comme guide, vu les colossales précipitations qui s’abattent depuis trois jours sur cette grandiose région du Wyoming, juste au nord de l’Utah et du Colorado.

Glisse lisse

Bien que le manteau neigeux soit déjà fort copieux, les deux premières heures d’approche se déroulent aisément : dès l’entrée du parc national, nous nous gavons de savoureux ski nordique sur le plat, en route vers le prodigieux massif montagneux des Tetons, jadis terre des Shoshones. Ces pics rocheux dantesques et féériques s’élèvent comme des monuments de roc vif à la gloire des glaciers qui s’y accrochent, aux confins d’une longue vallée. Ils furent ainsi nommés par des trappeurs canadiens-français qui ont exploré la région pour la Compagnie du Nord-Ouest, au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, tout ce décor fantasmagorique est enrubanné d’épais nuages et obstrué par une véritable muraille de lourds flocons.

C’est après avoir largué notre trop-plein d’équipement, gardé l’essentiel (pelle, sonde, etc.) et pris une pause au campement déjà monté que la présence d’Adam s’est avérée des plus appréciées. Pendant quatre heures, il a ouvert la voie en montée à notre petit groupe, sans jamais flancher. Une montée progressive, mais fort pénible compte tenu de l’épaisseur du couvert blanc : en moins de trois jours, 1,2 mètre de neige était tombé au pied des Tetons, et ça continuait.


© Gary Lawrence

Mais Adam, que j’ai vite rebaptisé « le rouleau compresseur », n’en avait cure : sans relâche et de la neige jusqu’à la mi-cuisse, il levait bien haut les jambes, l’une après l’autre, pour défoncer le relief blanc et imposer sa skin track. Une vraie machine, et une machine parlante en plus : malgré les efforts continus qu’il déployait à grands coups de spatules, Adam nous entretenait de ses histoires d’expéditions ou d’engelures extrêmes, sans jamais avoir le souffle court. J’aurais donné cher pour connaître son VO2 max, en cet instant précis.

Même si le décor qu’on sait scénique est complètement obnubilé par les éléments, la montée est des plus agréables dans le secteur Surprise Meadows. D’abord, Adam déblaie tellement bien le terrain que la glisse se fait tout naturellement et efficacement avec nos peaux d’ascension. Ensuite, nous demeurons essentiellement en forêt, à l’abri du vent – et surtout des avalanches –, en nous insinuant entre les pins tordus, les épicéas bleus et les gros fûts des immenses sapins de Douglas multicentenaires, contournant ici un lourd bloc de pierre esseulé, là une miniclairière instable, vu l’abondance de floches gelées.


© Gary Lawrence

Il fait bon, un tantinet frisquet, et tout l’univers qui nous entoure est joliment envahi par des milliards de flocons qui chutent poussivement, les dendrites déployées de leurs branches givrées freinant leur tombée. Parfois, rien que pour le plaisir, l’un de nous donne un coup de bâton sur une ramure en berne pour déclencher une drache de poudreuse emprisonnée entre les aiguilles. Et quand le mâche-patates d’Adam marque une pause, seule la respiration des skieurs entrecoupe l’apaisant silement du silence, feutré par l’ubiquité de tant de particules blanches et ouatées.

« C’est malade! »

À notre arrivée au sommet de la Surprise Face, le toponyme des lieux s’avère tout indiqué, comme en font foi tous les yeux écarquillés de notre groupe. « That’s insane! » lancent en se regardant Mack et Pete, devant l’étendue ivoire qui s’étale sous leurs prunelles. De mémoire de skieurs assidus de Jackson Hole, jamais ils n’ont vu pareil pactole de neige, même s’ils enfilent leurs peaux d’ascension plusieurs fois par semaine. Une neige épaisse, lourde et compacte, nullement comparable à la poudreuse champagneuse qu’on retrouve en Utah. Manifestement, nous n’aurons pas besoin d’un masque et d’un tuba pour plonger dans cette mer immaculée.

« Surtout, ne retire pas tes bottes pour enlever tes peaux! m’avertit Adam. Si tu poses pied dans cette neige sans tes skis pour répartir ton poids, tu vas te faire avaler… » Une fois toutes les peaux d’ascension acrobatiquement retirées, les lunettes enfilées, les tuques et les casquettes ajustées et les grandes respirations prises, nous attaquons la seule et unique descente à laquelle nous aurons droit ce jour-là.

Même si le but ultime de toute montée en ski de montagne est de s’éclater sur des pentes bien floconneuses pour y flotter allègrement en entamant un gracieux ballet, trop de neige poudreuse, c’est comme pas assez. Surtout si la pente n’est pas assez abrupte : ça devient alors plus embarrassant qu’emballant.

Ce jour-là, le couvert neigeux est tellement épais qu’il m’est presque impossible de faire flotter mes skis en surface. Pire : j’ai parfois l’impression de me sentir aspiré, mes skis pointant naturellement vers le bas dès que j’oublie d’appuyer sur mes talons, de donner des coups de genou vers l’avant pour avancer, lorsque le dénivelé diminue en intensité.

« Embarque dans nos traces, sinon tu risques de te noyer! » me lance à la blague Adam. Alors que le plaisir suprême de dévaler une pente vierge consiste précisément à créer sa propre voie, je me retrouve paradoxalement contraint de suivre des ornières fraîchement creusées dans des mégatonnes de poudre, pour ne pas disparaître sous sa blanche étale. Les seules fois où je me permets d’entamer un virage, c’est lorsque je compte m’arrêter.

En dévalant la pente, j’ai l’angoissante impression de me tenir en équilibre sur un filin blanc. Je ne peux donc me payer le luxe de m’offrir une chute : si je tombe, je ne pourrai pas me relever seul, car avec cette épaisseur, la neige se transforme presque en sables mouvants.

Au moment où je pense à cette éventualité, je fais un faux mouvement, je m’empêtre et je me plante royalement – et sans aucune dignité. Je me retrouve alors bien entravé ans mon piège de cristaux, comme si j’étais tombé dans un trou d’arbre, ces dangereux puits qui entourent les troncs et que redoutent tous les skieurs de montagne. Heureusement, mes fixations ne se déclenchent pas – même les guides craignent que ça leur arrive. Car on ne se clippe pas à des skis de montagne comme on le fait à des skis alpins, et dans plus d’un mètre de neige folle mais dense, il est quasi impossible de remettre un ski sans un coup de pouce. « C’est normal que tu n’y arrives pas seul, je n’ai jamais vu une neige d’une telle densité! » me dit l’autre guide, Brian, en me tendant son bâton tandis que je me sers du mien comme d’un échelon.

Le reste de la descente se fera sans encombre, jusqu’à ce que nous recroisions notre skin track, pour l’emprunter en sens inverse vers le point de départ. Heureusement, car il commence à faire sombre, et la neige continue de choir, inlassablement. Vivement le campement, que nous atteindrons une heure plus tard.

Après l’effort…

« Un petit hot toddy, Gary? » me demande Pete, accessoirement gérant du Cowboy Café de Jackson Hole, dès que je mets le pied dans la tente communautaire. Son grog à base de bourbon, de citron, de miel et d’eau chaude coule avec bienfaisance dans ma gorge et remonte en vapeurs dans mes sinus, procurant autant de bienfait moral que la vue de la casserole de saucisses qu’Adam est en train de mitonner pour bientôt en napper ses pâtes sauce vodka.

© Gary Lawrence

Ce n’est pas parce qu’on monte sa tente au milieu de nulle part qu’on n’a pas droit à un minimum de confort et de réconfort. Élevée autour d’un puits creusé à même la neige où on a judicieusement sculpté une sorte de table et des sièges, notre tente communautaire est dotée d’un poêle au gaz et d’une glacière naturelle qui regorge de denrées hautement caloriques.

Après m’être empli la panse à satiété, l’appel de mon sac de couchage se fait rapidement sentir et à 20 h 30, je m’endors en un claquement de doigts, dans les effluves de pieds puants émanant des chaussons de mes bottes. Cette nuit, je rêverai aux White Walkers, ces zombies polaires qui hantent le blanc linceul des terres isolées de la série Game of Thrones. Heureusement, les 1254 m2 du parc regorgent d’obsidienne, cette pierre vitreuse qui leur est fatale; rassuré, je dors à poings fermés.

Le lendemain matin, l’odeur des bagels œuf bacon d’Adam flotte dans l’air transi du campement. Durant la nuit, la neige a cessé de tomber, mais dès l’aube, les guides ont dû redéployer le toit de la tente communautaire, qui s’était effondré – comme la veille – sous le poids de la neige. Et comme la veille, les pôles n’ont pas flanché, ils ont simplement fléchi – tout comme nous, en quelque sorte.


© Gary Lawrence

Dehors, l’air est maintenant chargé d’humidité, je le sens dans mes sinus dégagés, mais aussi dans mes os. « On se retape la Surprise Face, les gars? » lance Adam entre deux gorgées de café brûlant? « Hum, je sais pas, j’la sens pas, cette journée, réponds-je dare-dare. Ou plutôt, peut-être que je la sens trop bien dans mes articulations? Sûrement les hot toddies d’hier soir qui ont ouvert en moi les portes de la perception. Allez-y sans moi, je reste… »

Une heure plus tard, toute la troupe rentrait : il s’était mis à pleuvoir. Mack et Pete n’ont pas regretté d’avoir laissé crampons et piolets à Jackson Hole, et moi, j’étais bien heureux d’être demeuré blotti dans mon sac de couchage en voyant arriver ces White Walkers détrempés, et en me remémorant l’inoubliable expérience neigeuse de la veille.


Bon à savoir

Voisin immédiat de la station de ski Jackson Hole Mountain Resort, le Grand Teton National Park fourmille de possibilités de raquette, de fatbike, d’escalade, de ski nordique, de ski de montagne et de ski-alpinisme. Pour partir la conscience tranquille, on fait appel aux experts d’Exum Mountain Guides, de véritables pros.


Testés et approuvés sur place

  • Veste Sabre AR

Le meilleur des deux mondes, avec une grande imper-respirabilité en montée et une doublure chaude en flanelle pour maintenir le corps au chaud en descente, le tout avec un poids plume de 700 g. À sa grande liberté de mouvement s’ajoutent une capuche assez ample pour un casque et une jupette pare-neige doublée d’un système d’attache pour coupler la veste à un pantalon Sabre.

  • Pantalon Sabre AR

Imperméable, respirant et résistant, ce pantalon en Gore-Tex trois couches n’en demeure pas moins très souple. Aussi efficace en montée qu’en descente avec sa doublure légère, il forme le couple parfait avec la veste du même nom.

  • Sac à dos Rush SK 32 

Robuste à souhait et minimaliste, ce sac de ski de montagne sied aussi bien aux expés de ski-alpinisme, avec ses grosses attaches à skis ou à splitboard. Léger et imperméable, il se moule bien au corps et comprend un compartiment pour le matériel de secours (pelle, sonde) et les peaux d’ascension. L’accès au contenu se fait par le dessus ou le côté, grâce à une longue glissière latérale.


L’auteur était l’invité d’Arc’teryx.

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