Everest : un trek tout inclus… sauf l’oxygène
« CONCOURS DE JOURNALISME D’AVENTURE - EXPÉDITION MONDE » L’an dernier, la revue Espaces lançait son 1er Concours de journalisme d’aventure en collaboration avec Expéditions Monde. Voici le texte de notre gagnant Guillaume Roy. »
J’avance toujours. Mon crâne semble se refermer sur mon cerveau. Je sens une pression sur ma nuque. Mon cœur cogne si fort que je le sens battre dans mes yeux. Si le décor est fabuleux, la marche qui mène au camp de base de l’Everest est beaucoup plus que la simple promenade que j’envisageais.
En gagnant le concours de journalisme d’aventure de la revue Espaces, j’ai appris que le trek au Népal comportait une équipe de 31 personnes pour transporter mon sac, monter ma tente et me servir des repas quatre services. « La grosse formule tout inclus dans l’Himalaya », me suis-je dit. Mais avec seulement 50 % du niveau d’oxygène habituel à cette altitude… ce qui modifie un peu la donne pour ces treize jours qu’il faudra afin de gravir près de trois kilomètres verticalement.
Partout où je regarde, le décor est une véritable carte postale. Les villages se succèdent le long du chemin de pierre utilisé depuis des siècles par les marchands de sel tibétains. Sur les terrasses, les paysans cultivent du blé, de l’orge, des patates, du chou et du sarrasin. Notre trek nous mène le long de la rivière Dudh Kosi qui serpente au gré des vallées qu’elle a forgées au cours des millénaires. La saison touristique est presque terminée en cette fin du mois de mai. Pourtant, depuis notre départ de Lukla, il y a encore beaucoup de circulation sur l’« autoroute » qui mène à l’Everest.
Depuis la première ascension de l’Everest par Edmund Hillary et Tenzing Norgay en 1953, la porte de l’Everest s’est ouverte. En 2007, plus de 25 000 visiteurs ont fréquenté le parc national de Sagarmatha (ils étaient 3600 en 1976!).
En février dernier, peu avant le 55e anniversaire de son exploit, Edmund Hillary s’est éteint.
« Il était un dieu vivant pour nous! Dans la vallée de Khumbu, il jouait le rôle du gouvernement, de dieu, de gardien… de tout! Il a fait éduquer nos enfants, soigner nos malades et nous a fait connaître le monde. Sans lui, nous serions probablement 100 ans en arrière », témoigne Sonam Lhakpa Sherpa, historien culturel et photographe, qui raconte le tout en buvant le thé traditionnel sherpa (eau chaude, sel, beurre de yak et champa (farine de blé). Un goût auquel on s’habitue à la longue semble-t-il.
Malgré l’influence grandissante des occidentaux sur la culture sherpa, Sonam Lhakpa considère que le tourisme est bénéfique et permet aux gens de gagner leur vie décemment. Mais il s’inquiète pour l’avenir : « Aujourd’hui, les familles sont plus fortunées. Plusieurs enfants reçoivent leur éducation à Katmandu et oublient leur langue maternelle. »
Une métropole sherpa
Sur notre chemin, nous traversons la ville de Namche Bazaar. Perchée à 3440 mètres d’altitude, dans une vallée semi-circulaire, c’est la métropole des sherpas. Tous les samedis, les commerçants des environs se réunissent au marché public. La ville est en plein essor et plusieurs chantiers sont en cours. Le bruit des marteaux qui frappent contre la pierre résonne dans le village.
Dans le parc national de Sagarmatha, le nombre d’auberges est passé de 240 à 380 en six ans. Au moins une cinquantaine étaient en construction lors de notre passage. Et oubliez les petites maisons d’argile : tout le monde se construit de grandes maisons de pierres à deux étages qui servent également de maison de thé et d’auberge pour accueillir les touristes.
« Quand je venais dans la vallée de Khumbu avec mon père, les villages sherpas étaient parmi les plus pauvres. Aujourd’hui, les sherpas ont des entreprises qui génèrent beaucoup d’argent », raconte le fils du conquérant de l’Everest, Peter Hillary. Presque tous les villages sur la route de l’Everest ont maintenant accès à l’électricité : « L’électricité a rendu nos vies plus faciles et nos auberges plus attrayantes. Les touristes ont maintenant accès à de l’eau chaude, à l’Internet, et la nourriture peut être cuisinée plus rapidement », témoigne Kanchi Fubi Sherpa, gérant du Khumjung hotel
Sherpa : le terme « sherpa » signifie « peuple de l’Est » et désigne un groupe ethnique originaire du Tibet (Shar : est, Pa : peuple). Le terme est aussi fréquemment utilisé pour désigner le métier de guide de montagne. Les porteurs de basse altitude proviennent également des ethnies Rai, Tamang, Gurung et Magar. De nos jours, les sherpas travaillent plus souvent en haute altitude et occupent les fonctions les mieux rémunérées.
Partout, l’entrepreneuriat sherpa prend de l’ampleur. Avec les sommes amassées en travaillant sur la montagne, un porteur a investi 40 000 $, pour acheter six ordinateurs portables, des panneaux solaires et des génératrices afin d’ouvrir une auberge et le « café Internet le plus haut au monde » à 4360 mètres d’altitude. À 3,50 $ par minute pour naviguer sur le Web, il risque de rentabiliser rapidement son investissement!
De l’autre côté de la rue, la chanson I Shot the Sheriff se fait entendre à fond pendant que mes nouveaux amis australiens jouent une partie dans le nouveau salon de billard ouvert deux mois plus tôt par Sunder Rai. Heureusement, nous sommes en période hors saison : chaque partie ne coûte que 3,50 $. Sinon, il en coûterait 20 $ la partie. Il faut bien payer la livraison de la table par hélicoptère, puis à dos d’homme… comme tout le reste qui se rend jusqu’ici.
Infatigables (et payés au kilogramme!), les porteurs locaux déplacent des charges qui atteignent les 100 kg. J’ai bien tenté de soulever une de ces charges, mais un mètre plus loin, je l’ai laissé tomber sous les rires soutenus des porteurs autour. Ils riraient pourtant encore plus s’ils faisaient partie de notre expédition, car nos porteurs ont de bien meilleures conditions de travail et transportent des charges d’environ 35 kg seulement...
24 mai 2008 / 23 h 30 / Lobuche (4930 mètres)
Maintenant rendus bien au-dessus de la limite des arbres, presque rien ne pousse à cette altitude. Demain, nous atteindrons le sommet de Kala Pattar. Il faut bien se reposer, mais j’ai de ladifficulté à m’endormir. Hors de ma tente, la lune presque pleine fait son apparition au-dessus des sommets enneigés. Rassasié par ce sentiment d’immensité qui m’entoure, je retourne me coucher.
Au petit matin, j’entends le bruit des cloches des yacks à l’extérieur de ma tente. Plein d’énergie, je me lève rapidement… trop vite pour mon cerveau endolori qui me rappelle que je suis à 4930 mètres d’altitude. Ma concentration se porte alors sur mes pas, mais j’avance lentement. Nous longeons le glacier du Khumbu qui serpente le creux de la vallée glaciaire. Recouvert de moraines, le glacier change de forme constamment. Des lacs turquoise donnent un peu de couleur à ce paysage terne teinté de gris et de blanc. Cet endroit n’est évidemment pas fait pour les humains et il semble clair que seul l’égopeut pousser à venir ici.
J’avance de peine et de misère. L’altitude se fait sentir de tout son poids. Au moment où j’atteins le sommet de Kala Pattar (à 5550 mètres d’altitude), les nuages se dissipent et la déesse Myosolungma (qui réside sur l’Everest selon les sherpas) découvre ses charmes. Malgré la douleur et les sacrifices, j’ai atteint l’objectif le plus élevé du voyage. Et dire qu’il reste encore 3300 mètres jusqu’au sommet de l’Everest! Je m’arrête un instant pour profiter de cet instant magique. Les drapeaux de prières qui battent au vent ajoutent au mysticisme de l’endroit. L’Himalaya exerce une attraction étrange et difficile à décrire. Demain, nous visiterons le camp de base de la plus haute montagne au monde.
À chaque mètre descendu, je me sens mieux
Le camp de base repose sur le glacier de Khumbu et ressemble à un camp de réfugiés de luxe. Ici, aucune installation permanente n’est tolérée et plus de 300 tentes sont réparties entre les vallons et les crevasses du glacier. La vie n’est pas facile dans ce désert arctique. Durant les deux mois nécessaires à l’acclimatation, le camp de base est le petit havre de paix des alpinistes où ils ont accès à l’électricité (panneaux solaires, éoliennes, génératrices) à Internet et même à une pâtisserie. Une avalanche déferle le long de la chute de glace pour nous rappeler que le danger est toujours présent.
De retour à notre campement, nous croisons deux Canadiens qui participent au marathon de l’Everest. Rien de moins qu’un parcours de 42 kilomètres débutant au camp de base de l’Everest (à 5360 mètres) pour terminer à Namche Bazaar (à 3400 mètres). En plus de l’altitude, les coureurs doivent se frayer un chemin à travers les chutes de pierres, les porteurs, les yacks et les touristes… en plus de marcher une douzaine de jours pour se rendre à la ligne de départ : « J’ai fait plusieurs marathons dans ma vie. Normalement, la partie la plus difficile est de se rendre à la ligne d’arrivée. Ici, c’est plutôt de se rendre à la ligne de départ qui est ardu », raconte Danny Anderson.
Son partenaire de course, Dale Zak, a dû composer avec une « katmadolite » (troubles gastriques communs). Il a néanmoins réussi à prendre le départ. Je n’ai compris ce qu’il a enduré qu’à mon retour à Karmandu, lorsque j’ai aussi attrapé ce mal. Exposés à la haute altitude depuis longtemps, les sherpas dominent ce marathon depuis sa création en 2003. Un coureur népalais qui a terminé en troisième position en 2006 m’a raconté qu’il s’entraînait trois fois par semaine pour ce marathon. « Durant combien de temps? », lui ai-je demandé. Sa réponse : « Juste la semaine qui a précédé le marathon! »
J’ai sagement préféré redescendre en marchant. Une fois acclimaté au faible taux d’oxygène, on marche plus facilement. Sur le chemin, nous croisons les regards vifs et épuisés des alpinistes qui ont atteint le sommet de l’Everest. Après deux mois sur la montagne, le visage brulé par le soleil et le vent, ils filent à toute allure pour retrouver la civilisation.
Une série de porteurs chargés de déchets suivent le pas. Plus question de se laisser traîner sur l’Everest. Depuis 1991, le Sagarmatha Pollution Control Committee (SPCC) est responsable de gérer les déchets sur la montagne. « Chaque expédition doit donner une consigne de 4000 $ pour gravir l’Everest, qui est remboursé si tous les déchets redescendent à Lukla où nous avons construit un incinérateur », explique Nishan Shestra, l’un des inspecteurs de la montagne. De 2004 à 2006, le SPCC a ainsi récolté 582 tonnes de déchets!
Le paysage stérile laisse graduellement sa place aux mousses, aux herbes, puis aux arbustes et aux conifères. Les fleurs printanières sont encore plus resplendissantes qu’à l’aller. La vie réapparaît et je respire profondément. Le lendemain matin, une atmosphère particulière règne sur la forêt de rhododendrons. Les parfums des fleurs colorées se mélangent aux odeurs de pin et de genévrier. À travers les branches, j’aperçois un cerf musqué. Nous sommes le 29 mai, le jour du 55e anniversaire de la première ascension de l’Everest. C’est donc jour de célébrations à Thyangboche pour souligner le travail effectué par la fondation « Himalayan Trust », créée par Edmund Hillary. « Tapai lai kasto cha sathi (Comment ça va mon ami)? », me lance Shenka, qui tente de m’apprendre le népalais. Sous le chapiteau, la fête bat son plein. J’improvise une danse népalaise apprise la veille et la soirée s’enflamme. Après avoir bu un peu de rhum népalais, mes mains virevoltent au- dessus de ma tête et j’imite Shenka qui danse une version népalaise de la polka. Pour la première fois de ma vie, je reçois un compliment pour mes qualités de danseur!
L’Everest en chiffres - Plus de 11 000 personnes ont tenté de gravir l’Everest. Un peu plus de 3000 personnes y sont parvenues. 208 personnes ont trouvé la mort sur l’Everest, 54 d’entre eux avaient atteint le sommet. - Le 23 mai 2008, 76 personnes ont atteint le sommet de l’Everest. - Le tourisme est l’industrie no 1 au Népal. - 25 000 personnes ont visité le parc national de Sagarmatha sur la route du camp de base de l’Everest en 2007. - Un permis de 70 000 $ est nécessaire pour grimper l’Everest. Il peut être partagé par sept personnes. |
Entrevue avec Peter Hillary
Edmund Hillary a créé le Himalayan Trust, une fondation qui vient en aide au peuple sherpa. Aujourd’hui, son fils Peter a pris la relève de son père.
Que signifie l’Everest pour votre famille?
L’Everest est un joyau, un cadeau du ciel. Les sherpas ont aidé mon père à le conquérir. Ensuite, il a voulu donner quelque chose à ces peuples. Mon père disait toujours : « Tu ne peux attendre que les choses arrivent d’elles-mêmes. Tu dois te mettre au travail et faire avancer les choses toi-même. »
Quelles sont les réalisations de la fondation dont vous êtes les plus fiers?
Il y a tant de choses à faire ici que tout le travail effectué est important. Depuis la construction de la première école en 1961, 27 écoles, 2 hôpitaux et 11 cliniques, un aéroport, des ponts, des systèmes d’approvisionnement en eau ont été construits et 1,5 million d’arbres ont été plantés. La fondation a aussi aidé à la reconstruction de monastères, de couvents et autres monuments religieux.
Quels sont les projets à venir?
Nous voulons améliorer les niveaux d’instruction pour que les enfants puissent recevoir une bonne éducation dans les montagnes au lieu de les envoyer à Katmandu. Aussi, les questions environnementales nous préoccupent énormément : le nombre de touristes augmente et les impacts sur l’environnement s’amplifient. Notre programme de reforestation est une réussite, maisça demeure compliqué de maintenir un tel programme dans un parc national tout en maintenant les moyens d’existence de ces peuples montagnards.
Quelle influence votre père a-t-il eue sur les visiteurs?
Je crois qu’il a eu une influence très positive. Plusieurs voyageurs donnent de l’argent et du temps pour venir faire des projets. Vous savez, 10 000 $ peuvent faire toute la différence ici. Au-delà de l’aide que nous pouvons apporter aux personnes de notre propre communauté, je pense que nous avons la responsabilité de partager nos richesses avec tous ceux qui en ont vraiment besoin.
En 2008, quel est le plus gros défi pour le peuple sherpa?
Ce sera de maintenir leur développement économique sans réduire leur qualité de vie et la qualité de l’environnement. Ça fait 40 ans que je viens ici et la nature a beaucoup changé. Il y a moins d’arbres, plus d’érosion, les glaciers reculent. D’habitude, je suis optimiste, mais je ne peux ignorer la réalité.
Croyez-vous qu’il y a trop de touristes sur la montagne?
C’est une question très difficile. Je crois que le tourisme est un véhicule qui facilite les changements. Il peut même être très puissant lorsque l’on parle de la protection de l’environnement, mais il doit être géré de façon responsable.
En participant à un trek d’Expédition Monde, 250 $ sont versés à la fondation Sir Edmund Hillary.