Rechercher dans le site espaces.ca
  • Crédit: Olga Danylenko

Aventure : les prochains défis de l’exploration

En ces temps de mondialisation, de tweets et textos, que reste-t-il de l’expression terra incognita, ces territoires inexplorés par l’homme? Quelles aventures reste-t-il encore à entreprendre?

Le 5 avril dernier, le monde de l’escalade avait les yeux braqués sur Chamonix, dans les Alpes françaises. Qui allait remporter les Piolets d’Or, célébration annuelle récompensant les plus belles et ambitieuses ascensions de l’année? Pour sa 21e édition, le jury a décidé d’honorer ex aequo les six nommés pour « mettre l'accent sur la diversité des expériences vécues », six expéditions sur des montagnes ou des versants encore vierges de toute ascension. Preuve que l’Homme n’a pas encore apprivoisé tous les hauts sommets de la planète. Si tous les 8 000 mètres (seulement 14 en fait!) ont été escaladés, ce n’est pas le cas de quelque 7 000 mètres, et moins encore pour les 6 000 et 5 000 mètres : « À y penser, c’est incroyable ce qu’il reste à faire vu notre capacité à nous rendre partout!, confie Christian Trommsdorff, coorganisateur des Piolets d’Or. Mais, il reste encore bon nombre de sommets à escalader, particulièrement dans le massif du Karakoram, une zone située aux confins du Pakistan et du nord de l’Inde. C’est l’avenir de l’alpinisme! »

Cette vaste zone d’Asie centrale, entre le Pakistan, l’Inde, le Népal, la Chine et le Bhoutan, avec l’Himalaya comme gardien du phare, attise la curiosité de nombreux aventuriers en quête de nouveaux endroits à explorer, loin des turpitudes touristiques de l’Everest. « Avec le développement du tourisme d’aventure de masse, il y a beaucoup de randonneurs et de grimpeurs autour de l’Everest, explique Maxime Jean, aventurier et cinéaste. Mais il suffit de changer de vallée pour se retrouver complètement seul et fouler des terrains vierges. C’est le cas pour la région de l’Annapurna avec des montagnes inexplorées. »

Situation similaire au Tibet avec le Nyainqentanglha, une chaine de montagnes longue de 600 km, avec 164 montagnes de plus de 6 000 mètres, dont 159 n’ont jamais été grimpés. À la frontière entre le Tibet et le Bhoutan se dresse le Gangkhar Puensum, un sommet perché à 7 570 mètres d’altitude, la plus haute montagne à n’avoir jamais été gravie. Et elle le restera certainement encore longtemps : sur le versant tibétain, elle demeure difficile d’accès et le gouvernement chinois contrôle rigoureusement l’accès à cette région, symbole international de l’oppression chinoise. De l’autre côté, le Bhoutan a interdit depuis 2003 tout alpinisme dans le pays, pour des raisons religieuses au nom du caractère sacré des montagnes. Enfin, même au Canada, il existe des montagnes jamais escaladées, en Colombie-Britannique, dans les Rocheuses et la Chaine côtière.

Pourtant, de l’avis de tous, il est aujourd’hui plus difficile d’innover dans le domaine de l’alpinisme. Selon François-Xavier Bleau, aventurier et guide pour Terra Ultima, « même s’il est encore possible d’ouvrir une voie sur une nouvelle montagne, c’est surtout la nature des défis qui a changé. On ne va plus chercher l’inconnu, mais davantage la complexité, avec des ascensions plus techniques. Car il y aura toujours cette volonté de se faire reconnaitre par ses prouesses! » Christian Trommsdoorf va dans le même sens : « Chaque activité a son âge d’or et celui de l’alpinisme est derrière nous. »

L’Antarctique, « l’ultime continent »

Mais nul besoin de tutoyer les hauteurs pour ressentir le gout de l’aventure et de l’exploration. « Des régions isolées du nord de l’Inde comme le Zanskar, sous-région du Cachemire, ou Ladakh, sont des zones très peu exploitées, mais où le potentiel en matière de randonnées ne manque pas », précise Maxime Jean. L’inaccessibilité de certaines régions constitue une autre cause (avec la religion et les barrières administratives) qui freine la quête d’exploration. « Le manque d’infrastructures, de routes et de villages empêche le développement d’une industrie touristique dans ces régions éloignées, poursuit Maxime Jean. « Cela prend tellement d’argent et de logistique pour s’y rendre que très peu de personnes s’y engagent. Mais c’est une aventure comme on pouvait le vivre autrefois et aller à la découverte de l’inconnu. »

L’est de la Sibérie apparait aussi comme une région en marge du monde, particulièrement la pointe nord du continent asiatique et la Tchoukotka, sous-province de la grande Russie. « C’est, à mon sens, avec l’Amazonie, l’un des coins les plus perdus au monde, dit Pierre-Alexandre Paquet, candidat au doctorat en anthropologie de l’Université McGill. Il existe toujours des communautés isolées, comme en Amazonie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elles sont connues par les anthropologues qui ont vécu parmi elles. Ce sont des communautés qui ne sont pas intégrées à notre système d’échange capitaliste. Elles sont marginalisées, car elles n’ont pas accès aux droits qu’elles pourraient prétendre. La figure de l’aventurier moderne passe par une implication politique pour savoir si ces peuples possèdent les outils nécessaires pour tirer profit de leurs droits. »

Plus « proche », tout au nord du Canada, la province du Nunavut compte quelques iles isolées, notamment l'ile d'Ellesmere, la plus au nord de l'archipel arctique canadien malgré sa base météorologique de l’armée canadienne (la base Alert, lieu habité le plus au nord de la planète!) et les 141 habitants de Grise Fiord, la seule ville de l’ile. « Se rendre dans ces iles est déjà une aventure en soi, avec une logistique incroyable. C’est rendu quasi inaccessible, car ça coute très cher d’y monter une expédition », explique François-Xavier Bleau.

Des six continents que compte la Terre, seul l'Antarctique apparait, encore au 21e siècle, comme le dernier terrain de jeu de l’exploration, même si le tourisme s’accroît : 10 000 visiteurs en 2000 et 37 000 en 2010. Si l’âge d’or de l’exploration antarctique remonte au début du 20e siècle, il reste encore des expéditions inédites pour parcourir le continent blanc.

L’hiver prochain, une équipe d’aventuriers québécois, XP Antarctik, se rendra dans l’un de ces secteurs inexplorés (la côte ouest de la Terre de Graham) afin de grimper des sommets vierges, dont certains n’ont même pas de nom : « C’est l’ultime continent! estime Alexandre Byette, le leader d’expédition. La terre de tous les défis, où il fait le plus froid, le plus venteux et la moins explorée. L’Antarctique est le seul continent qui n’a jamais connu de population indigène. Les seules habitations qu’on y retrouve sont des bases scientifiques. Ce continent reste encore une terre d’exploits. »

L’univers comme nouvelle frontière

Enfin, on ne peut parler d’exploration sans traiter des fonds marins, surtout quand les océans représentent 71 % de la planète, soit plus des deux tiers de la Terre. Près de 75 % des zones très profondes (en dessous de 4 000 m de profondeur), restent inconnues. « Là-dessous, tout reste encore à explorer », explique Philipe Archambault, professeur en océanographie à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski. Je compare souvent la Terre à une maison, où l’on connaitrait l’existence de toutes les pièces, mais mal le contenu du sous-sol... L’intérêt du grand public pour le milieu marin est moindre que pour l’espace. Passé les quelques mètres de la plage, on a l’impression qu’il n’y a rien. C’est pourtant une réserve énorme pour la biodiversité! » Un point de vue partagé par Maxime Jean : « Je plonge depuis cinq ans, notamment autour des iles Galapagos. On ne soupçonne pas la richesse qu’il y a sous l’eau. C’est pourtant en grande partie méconnu, sûrement parce que l’eau est un élément qui n’est naturellement pas le nôtre. » L’exploration sous-marine a été remise au-devant de la scène médiatique en 2012 lorsque James Cameron, réalisateur des films Titanic et Avatar, fut le premier homme à descendre en solitaire à 11 km de profondeur, dans la fosse des Mariannes.

Malgré tout, le fond des mers n’est rien en comparaison avec la fascination que procure l’espace. En dépit d’un contexte économique qui pousse à la restriction budgétaire, l’intérêt vers la conquête ne semble pas s’épuiser : « Mars est la planète qui génère le plus d’intérêt avec la multiplication des missions », explique Jean-Claude Piedboeuf, directeur général de l’Agence spatiale canadienne. C’est lui qui est responsable du développement de l'exploration spatiale : « Pour le moment, il n’y a qu’une présence robotique permanente et le “Graal” serait de ramener des échantillons de cette planète pour les analyser. Mais l’objectif à long terme est la présence humaine. La NASA prévoit d’y envoyer un astronaute d’ici la fin 2030! » L’agence américaine a également annoncé vouloir capturer un astéroïde, entre sept à dix mètres de diamètre et l’amener dans l’orbite lunaire. « C’est une autre phase de l’exploration spatiale!, confie Jean-Claude Piedboeuf. Le but est double : marcher dessus pour l’étudier, mais également développer notre capacité technologique à faire dévier des astéroïdes qui pourraient menacer la Terre. » Enfin, si le dernier voyage sur la Lune remonte à une quarantaine d’années, plusieurs pays (dont la Chine) envisagent un retour de l’homme sur notre unique satellite naturel, notamment pour l’exploitation des ressources minières, mais aussi pour s’en servir comme « pied-à-terre » pour l’exploration spatiale.

« Il n’existe plus aucune terre inexplorée, conclut Pierre-Alexandre Paquet. Nous avons la carte du monde, mais il reste encore beaucoup à faire dans la compréhension de l’autre, sur le sens commun et donc sur nous-mêmes. » Notre prochain défi?

 
Commentaires (0)
Participer à la discussion!