Grandiose parc national d'Opémican
En juin dernier, le 24e parc national du Québec ouvrait partiellement ses guérites, au Témiscamingue. L’occasion rêvée de découvrir ce territoire taillé sur mesure pour l’aventure, avec ou sans démesure.
En ce début d’été, une certaine frénésie plane sur le site d’inauguration du parc d’Opémican. Autour des tipis dressés pour l’occasion, une cinquantaine de filles et de gars en wet suit écoutent religieusement les instructions d’une poignée de guides. Dans quelques instants, tous s’élanceront à bord d’un raft pour participer à la 32e édition du Festival de la Kipawa, cette impétueuse rivière dont une partie coule dans les limites du parc national.
Cette descente en raft forme l’événement grand public qui consiste en un rassemblement de kayakistes plutôt doués, qui s’amusent à se mesurer au plus gros rapide de la rivière (Hollywood) durant la compétition Head to Head. Notre équipage — moi-même et ma gang d’amis abitibiens — est plus ou moins expérimenté question rapides. Mais l’idée, c’est de pagayer à l’unisson, surtout dans les grosses vagues, sous les ordres de notre guide Mark.
Le début de journée est plutôt mollo, avec quelques sections de rapides RI à RIII. Dans l’un d’eux, certains se lancent dans les remous pour une séance de body rafting rafraîchissante. Au fil des rapides, nous dévalons en pente douce les méandres de la rivière, longeant ses berges bordées de pins blancs et de cèdres. La journée est radieuse, l’ambiance un tantinet euphorique.
Pour passer l’impraticable Grande chute, nous procédons à un portage de quelques dizaines de mètres. Nous savons que la descente prend fin avec le dernier rapide de la journée — le fameux Hollywood —, mais avant ça, Elbow nous réserve bien des émotions : une vague de belle taille nous arrose copieusement, tandis que le bateau reprend son axe horizontal.
« Ceux qui ne veulent pas passer Hollywood à bord peuvent marcher le long du rapide! », lance bientôt notre guide. Vu de la berge, ce RIV-RV gronde furieusement, mais une veine visible, sur la gauche, devrait nous éviter le gros trou, après le dernier seuil. J’entre dans le rapide un peu nerveuse, mais en pagayant énergiquement pour prendre la veine. Peu à peu, je sens cependant notre raft attiré inexorablement vers le trou. Je tourne la tête vers la droite et, en un dixième de seconde, je comprends que nous n’échapperons pas à la baignade forcée et au gros bouillon qui nous brassera sans ménagement pendant plusieurs secondes. J’ai bien essayé de maintenir la posture recommandée : sur le dos, les pieds devant, tenant la pagaie fermement le long du corps. Peine perdue.
Dès le plongeon, j’ai senti mes intentions se déliter dans le chaos fracassant des vagues. L’un après l’autre, chacun de nous frappe violemment des roches immergées et goûte sans modération à cette eau pure et fraîche qui nous draine jusqu’au bout de la section. Les équipages des autres rafts qui sont passés sans problème nous observent, un peu inquiets, depuis la berge du site Topping, en aval. Au bout du compte, les chocs ont laissé quelques contusions, mais rien qui réussisse à entacher cette mémorable journée sur la Kipawa.
Vingt ans de débats
© Mathieu Dupuis - Sépaq
La descente de la Kipawa n’est qu’une activité parmi les nombreuses qui attendent les pleinairistes au parc national d’Opémican, partiellement ouvert en juin dernier après des années de discussions, de cartographie et de négociations territoriales. Il y a presque vingt ans que les débats divisent les défenseurs de ce fabuleux territoire, marqué par les effets du flottage du bois, et ses utilisateurs de toujours, qui tiennent à conserver leur libre accès, leur camp de chasse ou leurs incursions en quatre-roues.
La création du parc est vécue comme une nécessité pour ceux qui croient que la vitalité du Témiscamingue dépend de ce formidable produit d’appel, comme c’est le cas pour Patricia Noël, présidente du comité municipal de Laniel. « Sans le parc, Laniel aurait pu péricliter », affirme celle qui est aussi mère de l’unique enfant du village! La population de Laniel est passée de 250 à 80 habitants en 50 ans.
Sur les trois sections morcelées du parc, seule celle de la rivière Kipawa est ouverte cette année, avec trois sentiers de randonnée faciles : Grande-Chute, Inukshuk et Paroi-aux-Faucons (environ 4,5 km). Un incendie accidentel, survenu en juillet, empêche tout séjour dans les quatre tentes de prêt-à-camper Étoile, au haut de parois vertigineuses.
Le secteur de la pointe Opémican est marqué par l’occupation humaine, avec les bâtiments rénovés du poste de flottage du bois de la Ottawa Improvement Company, plus grande entreprise forestière de l’Outaouais. « Le parc a aussi été créé pour protéger ce patrimoine bâti au cœur des forêts de pins rouges, ces grandes cathédrales naturelles érigées sur le dos d’un esker », explique Dany Gareau, directeur général du parc. Un labyrinthe d’îles se déploie sur le lac Kipawa, « mer intérieure » de 300 km2, avec des emplacements de camping rustique accessibles en canot ou en kayak depuis Laniel.
© Mathieu Dupuis - Sépaq
Enfin, le secteur du lac Marsac est le paradis du canot-camping et de la pêche au doré. « Une pêche d’arrière-pays sur des grands lacs reculés, comme le White Lake, sans pourvoiries ni bateaux à moteur », précise Dany Gareau. Où que l’on soit, on ne peut pas rester insensible au charme envoûtant des 252 km2 de forêts anciennes ni à celui des grands lacs Kipawa et Témiscamingue ou de la rivière patrimoniale Kipawa.
Un territoire anishnabe
La nation anishnabe (algonquine) occupe ce territoire depuis près de 6500 ans, comme en témoignent des sites archéologiques visibles sur la pointe Opémican (restes de campement, pointes de flèche, artefacts...). La création du parc et sa délimitation ont été pensées en conformité avec les exigences des membres des quatre communautés environnantes : Temiscaming, Kipawa, Winneway et Hunter’s Point.
© Mathieu Dupuis - Sépaq
« Dès le début, les Autochtones voulaient faire partie de l’aventure et profiter des retombées, explique Dany Gareau. Nous avons rencontré les conseils de bande dès 2014 pour parler de droits territoriaux, d’accessibilité à l’emploi, de francisation et d’activités autochtones. » Résultat : l’an prochain, une dizaine de postes seront ouverts aux membres des Premières Nations. « Pour nous, c’était un engagement moral de travailler avec les communautés », insiste Ambroise Lycke, responsable de l’éducation et de la conservation du parc. À plus forte raison en cette ère où l’appropriation culturelle est de plus en plus décriée…
Un territoire fait pour les vedettes!
À l’époque du cinéma muet, l’embouchure de la rivière Kipawa et du lac Témiscamingue sert de décor au tournage de cinq longs métrages de la Paramount, dont The Snow Bride (1923) et Silent Enemy (1930), un documentaire sur les Ojibwés. Le dernier rapide de la rivière porte donc le nom de Hollywood en mémoire de ces années cinématographiques.
De 1945 à 1964, Daniel Reid Topping, propriétaire des Yankees de New York, fait de son camp rustique un haut lieu de villégiature en invitant de nombreuses vedettes hollywoodiennes en quête de nature.
Puis, le site est vendu à l’Américain Scott Sorensen, qui raconte son retour à la nature dans ses Chroniques de la rivière Kipawa (traduit en français en 2003).
Margaret Atwood a aussi passé quelques années de son enfance dans un chalet familial de l’une des zones du parc actuel et a donné plusieurs ateliers d’écriture en plein air.
Pratico-pratique
Le secteur aventure de la rivière Kipawa propose quatre emplacements de camping rustique (Paroi-aux-Faucons), ainsi que des dépôts de canots avec VFI et pagaie, au chalet d’accueil de Laniel et dans le secteur des îles. Les tentes Étoile devraient être rouvertes l’an prochain. Le secteur de la pointe Opémican propose 48 emplacements de camping avec deux services (énergie solaire et toilettes sèches) et 12 emplacements sans services. Location d’embarcations (incluant des planches à pagaie) et de vélos.
Info : 819 627-3551, sepaq.com/opemican. Festival de la Kipawa : kipawariver.ca.