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Admirer… la laideur du monde

Exploiter les catastrophes environnementales comme source d'intérêt pour des voyageurs avides de nouvelles destinations inusitées? Ce n’est pas une blague : certains forfaitistes le proposent déjà…!

S'il est un carburant essentiel à l'industrie touristique, c'est bien la curiosité humaine. C'est elle qui a poussé l'homme à explorer, découvrir et conquérir les derniers retranchements de la Terre. Peu de gens sont aujourd'hui assez dupes pour croire que le monde entier n'est que beauté. Les catastrophes (naturelles ou humaines) font aussi partie de notre monde, mais le tourisme ne souhaitait pas s’en mêler. Il n'y a qu'un pas à faire pour que des touristes demandent à voir par eux même ce qu'on leur rapporte comme images aux bulletins de nouvelles. Bienvenue dans le monde du « tourisme toxique ».
L'agence (toursbyisabelle.com) organise plus de visites touristiques en Nouvelle-Orléans depuis le passage de l'ouragan Katrina. « Après la catastrophe, je m'apprêtais à vendre mes véhicules de visite et à fermer boutique lorsque le téléphone s'est mis à sonner : des gens de l'extérieur voulaient aller constater ce qu'ils avaient vu à la télévision. C'est ce qui m'a sauvée! », dit Isabelle Cossart. Cinq ans plus tard, son est toujours au programme, car il y a des secteurs de la ville qui ne sont toujours pas reconstruits. « La marée noire du golfe du Mexique n'a pas atteint les bayous où j'emmène ma clientèle, mais le dommage est déjà fait au niveau de la perception. Les gens ne viennent plus! » Bien qu'elle s'en remette à la demande pour choisir sa stratégie d'offre, Isabelle Cossart espère de tout coeur ne pas avoir à revivre une autre de ces situations : « Il est certain qu'une partie de l'exercice sert à sensibiliser et conscientiser, peut-être même contrer la désinformation. Mais il y a aussi le côté "voyeur" de la chose qui n'a rien de réjouissant. Je préfère montrer les beaux côtés de notre région. »
À Tchernobyl (Ukraine), l'agence locale (tourkiev.com)fait visiter la « zone d'exclusion » et permet de s'approcher à moins de 100 mètres du réacteur où s'est produit le pire accident nucléaire de l'histoire, en avril 1986. Son représentant, Sergei Ivanchuk, mentionne que les touristes ne courent aucun danger et que leur exposition aux radiations sur les lieux pendant quelques heures « est moindre que lors d'un vol transatlantique. » Ce qui n'a pas empêché l'Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire d'émettre dès 1996 de sérieuses réserves sur la banalisation des risques de radioactivité nocive dans le périmètre. Et la popularité de cette destination est en croissance auprès des amateurs d'inédit comme des passionnés de science. C'est le cas de Michael Larabel, un informaticien américain qui relate sa visite sur son blogue : « L'intérêt est alimenté soit par les jeux vidéo qui sont basés sur les événements de Tchernobyl ou même simplement par la curiosité pour le nucléaire. » Les touristes peuvent également  s'imprégner des paysages surréels autour de ce qui reste de la mer d'Aral, à la frontière du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan. Suite aux efforts de monoculture du coton et du contournement de ses principaux affluents, dans les années 1960, ce qui était une mer intérieure riche et prospère a été réduit à un désert de sel et de pesticides contaminants, où les carcasses de bateaux s'oxydent lentement. Des intéressés?
En Asie profonde, d'autres navires en état de décomposition attirent l'attention dans les terrains boueux et toxiques de la ville portuaire de Chittagong, au Bangladesh. Avec l'aide d'une agence locale, on peut juger à distance prudente de cet effort titanesque de recyclage - ou de ce dégât environnemental - comme le relatait le chroniqueur Bruno Blanchet : « (...) fermez les yeux et imaginez de l'eau sale. (...) Imaginez-la noire, avec des balounes brunes et du "schnu" en décomposition qui flotte dessus... Ça pue? Parfait! Maintenant, construisez une ville autour, toute en tôles rouillées et en restants de bouts de morceaux de patentes de dépotoir (...). À l'horizon, posez des carcasses de navires. Cachez le soleil. Vous êtes à Chittagong, la poubelle du monde. »

Plus proche de chez nous, à Fort McMurray en Alberta, on peut vivre une expérience presque identique grâce au forfaitiste (classiccanadiantours.com). D'après son président Bill Lamberton (dont l'agence se spécialise pourtant dans la promotion des beautés naturelles du pays), c'est la curiosité et le désir de constater par soi-même ce qu'on dit dans les médias sur l'exploitation des sables bitumineux qui justifient cette tournée : « Nous avons beaucoup de fermiers, des enseignants, des familles de travailleurs du secteur pétrolier, même des investisseurs qui profitent de cette opportunité pour aller voir sur place. » Encore plus proche? Il n'y a qu'à se rendre à Asbestos ou à Thetford-Mines pour faire la visite des énormes puits d'amiante québécois et poser ses questions. Même chose à Montréal, au Complexe environnemental de St-Michel, où l'ancien dépotoir de la ville se reconvertit en parc urbain.

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