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  • Crédit: Galyna Andrushko, Shutterstock

Polémique dans l'alpinisme : le Cerro Torre libéré!

Le 16 janvier dernier, la Patagonie était au cœur de l’actualité de l’alpinisme. Deux jeunes grimpeurs, le Canadien Jason Kruk et l’Américain Hayden Kennedy, venaient de faire disparaître les plaquettes fixes de la voie Compresseur sur le Cerro Torre après avoir réussi son ascension sans utiliser les points d’ancrage fixés à la paroi. En redescendant, ils ont retiré toutes les protections qui avaient été fixées au fil des ans pour rendre son aspect naturel à cette voie superbe. De quoi raviver les polémiques entourant cette voie sur cette montagne située entre à la frontière entre l’Argentine et le Chili.

« Nous avons pris la décision d’enlever les boulons une fois le sommet atteint », confie Jason Kruk. « Nous n'avions pas prévu de le faire lors de la montée, bien que la question se soit longtemps posée au sein de la communauté des grimpeurs. » En fait, cela fait plus de 53 ans que le Cerro Torre est au cœur des discussions dans le monde de l’alpinisme.

Tout a commencé en 1959. Une expédition menée par l’Italien César Maestri tente de gravir pour la première fois les pentes vierges de la montagne patagonienne. Par manque de preuves, perdues durant la descente selon les aventuriers de l’époque, l’expédition ne pourra jamais prouver qu’elle est bien parvenue au sommet, jetant le trouble et la suspicion sur la réalité de l’ascension. Blessé dans son orgueil, Maestri retente la montée 11 ans plus tard, en utilisant une machine à compression pour fixer 360 pitons à expansions, des systèmes d’ancrage qui perforent la roche et permettent au grimpeur d’assurer sa progression.

La controverse suscitée par Maestri a alimenté bon nombre de débats chez les alpinistes. Fallait-il ou non nettoyer la voie pour la rendre à son état naturel? En y mettant fin de manière aussi radicale, les deux alpinistes ont ravivé les passions autour du Cerro Torre. Deux camps se sont alors formés : ceux pour qui la route tracée par Maestri faisait dorénavant partie de l’histoire de l’alpinisme, et ceux qui estiment qu’elle dénaturait la montagne et l’esprit même de l’escalade en rendant l’ascension du Cerro Torre plus accessible à des grimpeurs moins expérimentés ou moins bien préparés. Les détracteurs des deux grimpeurs leur reprochent d’avoir détruit une voie historique et de violer le patrimoine culturel de l’alpinisme. « Cette voie était le pire exemple d’utilisation de matériel permanent et de pitons fixes pour une grimpe en escalade artificielle qu’une montagne ait jamais connue », rétorque Jason Kruk. « Ce n’est pas quelque chose que les gens vont oublier facilement. Il est important de détruire ces aberrations. Nous ne les oublierons pas, mais nous devons passer par-dessus. » Le natif de Vancouver regrette ainsi cette querelle où personne n’en sortira grandi : « Même si la plupart sont d’accord pour limiter l’utilisation des plaquettes et de pitons fixes, les gens semblent se soucier plus de leur disparition que de leur placement initial. C’est le reflet de notre médiocrité comme communauté. Les protections fixes rendent les choses plus faciles et plus accessibles, ce qui plait à beaucoup trop de gens. »

Conflit de générations

« C’est une polémique qui court depuis des années! », explique Dominic Asselin, président d’Attitude Montagne et guide d’escalade. « Elle est au cœur du questionnement éthique de l’alpinisme. Sur cette question, il n’y a jamais eu de consensus. Certains perçoivent l’alpinisme comme une profession où l’on doit donner le meilleur de soi. D’autres prônent l’accessibilité des sites sans mettre en avant la compétition ou le dépassement de soi. » En 2009, l’Union internationale des associations d’alpinisme (UIAA) édictait une charte éthique, qui stipule notamment, à son article 7 : « nous devrons toujours pratiquer nos activités d'une manière respectueuse de l'environnement et être responsables vis-à-vis de la préservation de la nature et du paysage. » Mais, comme le souligne Dominic Asselin : « C’est une déclaration très générale, qui ne parle pas à proprement dit du matériel. C’est un vœu pieux, car chaque alpiniste grimpe avec son éthique personnelle. » Un texte théorique, mais qui a le mérite d’exister en rappelant à tous les grands principes et les valeurs communes inhérents à la pratique de l’escalade et de l’alpinisme.

Alors, Jason Kruk et Hayden Kennedy ont-ils eu raison? Pour Yannick Girard, grimpeur québécois, cela ne fait aucun doute, même s’il se veut modéré : « C’est une action choquante, qui n’a pas été faite avec toute la maturité du monde, mais elle était nécessaire pour redonner ses lettres de noblesse à cette montagne. » Pour ce spécialiste, derrière cette polémique se cache surtout un conflit de générations : « Avec ces deux jeunes alpinistes, c’est le cri d’une nouvelle génération ambitieuse. Qui veut aussi inscrire son nom dans l’Histoire de l’alpinisme. Je pense que cette histoire n'aurait pas atteint ce niveau de controverse si cela avait été deux vieux Argentins. » Une conception que partage Dominic Asselin : « L’escalade est un sport d’égo, un monde où évoluent de très fortes personnalités. Tous les plus grands alpinistes auraient voulu libérer cette voie. » L’histoire du Cerro Torre n’est donc pas près de s’arrêter...

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