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Basse-Côte-Nord : l’aventure à voile

Le territoire de la Basse-Côte-Nord, c’est le dépaysement garanti au Québec. La randonnée et le kayak sont les meilleures façons d’explorer ses écosystèmes exceptionnels, et le voilier, une excellente façon d’y accéder.


© Nathalie Schneider

Baie-Johan-Beetz, 50° 20’ 18” de latitude nord; communauté : 80 habitants et des poussières. Une vingtaine de maisons colorées, reliées par des passerelles de bois, se tiennent au chaud au bord du fleuve. La grande demeure patrimoniale – qu’on appelle ici « le château » – est celle d’un certain Johan Beetz, un naturaliste-aventurier belge qui cumule les tâches à son arrivée dans le Nord au tournant du XXe siècle – négociateur en fourrures, éleveur de renards, maître de poste de village.

On dit du scientifique qu’il a sauvé les citoyens de la grippe espagnole en plaçant le village en quarantaine en 1918. Plus d’un siècle plus tard, le masque est de rigueur pour entrer au Couche-Tard local, à 1186 m au nord-est de Montréal. Et la pandémie de COVID-19 a, encore une fois, épargné le village de Minganie.

Liberté en hors-piste

Bienvenue dans la face nord du Québec, le royaume de la toundra et des vastes solitudes bercées par le roulis des vagues. Bienvenue d’aussi loin que va le Québec oriental. Aussitôt que vous quittez la cour arrière des maisons de Baie-Johan-Beetz, pointe est, l’appel sauvage vous happe, vous tire par le bout des yeux vers le promontoire des caps de roche. La toundra, c’est de la canopée à portée de bottes.


© Nathalie Schneider

Penchez-vous un peu et prenez le temps d’observer ce monde qui fourmille en miniature : ses plantes insectivores, ses petits fruits surets, ses mélèzes bonsaïs qui poussent à l’horizontale sous l’assaut du froid et de la brise marine. Aucun sentier pour accommoder le randonneur qui doit marcher ici en hors-piste, entre sphaignes et lichens, posant le pied sur des roches providentielles pour éviter de déranger l’écosystème. Où qu’on aille, on trouve toujours une camarine ou un bleuet à faire exploser sous sa dent, un tapis de mousse à caribou où s’effoirer de tout son long ou une vue dégagée, à 360 degrés, où pousser loin le regard. Les coulisses de Baie-Johan-Beetz sont un avant-goût prometteur des découvertes qui nous attendent le long de la Basse-Côte, selon l’expression consacrée.

La voile aventure


© Nathalie Schneider

C’est sur le voilier ÉcoMaris, le bateau-école aux allures de vieux gréement, que notre équipage vogue dans le golfe du Saint-Laurent en cet été 2020 (voir encadré). Ses voiles auriques (quadrilatères) et le bois dont sont faites bômes et poulies lui donnent des airs de bateau pirate.

Au mouillage dans la baie de Johan-Beetz ou de Natashquan, il ne passe guère inaperçu, les habitants étant rapidement prévenus, par une rumeur qui circule plus vite que le vent du large, de l’arrivée de ce beau grand bateau dans leur ligne d’horizon. Doué pour le contact humain, ce voilier-là y préfère pourtant l’intimité des baies protégées et la douce lumière du nord. Il aime aussi corriger sa route au gré des vents qui soufflent dans le golfe du Saint-Laurent.

Après Kegaska, point final de la route 138, chaque déplacement a l’air d’une aventure, en avion de brousse ou sur le Bella Desgagnés, le bateau qui ravitaille les communautés éloignées. (Dites seulement le Bella, vous aurez l’air d’un Nord-Côtier!) 

La région est un alignement de hameaux peuplés par l’arrivée en vagues successives de Gaspésiens, Madelinots ou Terre-Neuviens, dès la moitié du XIXe siècle, nourris à la culture du fleuve, de la morue et du loup marin.

Bienvenue en Boréalie

© Nathalie Schneider

Le temps de hisser la grand-voile et l’artimon, le bateau file vers Washicoutai, 60 milles nautiques plus loin, passé la pointe de Natashquan, dans le détroit de Jacques-Cartier.

La côte n’en finit plus de s’effilocher, la ligne des épinettes s’amenuisant à mesure qu’on s’enfonce un peu plus vers le nord inhabité. Chaque escale, comme dans la baie de Kowakowachou, est l’occasion d’approfondir l’observation du domaine boréal sous un soleil radieux lors de randonnées exploratoires. Depuis le mouillage dans la baie, le relief se déploie de toutes parts, long cordon d’affleurements rocheux ondulant sous l’action millénaire des glaciers. Nous voilà à peine débarqués sur le rivage que chacun de nos pas dans la sphaigne compacte provoque un débordement d’eau immédiat. Partout, le socle rocheux se décline en teintes vives, jaune orangé surtout, créées par le déploiement du lichen. Les bouquets de cladonies, qui s’échappent des interstices minéraux, ressemblent à s’y méprendre à des récifs coralliens. Comment ces microparticules font-elles pour combler tant d’espace géographique ?

Quand la nature fait de l’art


© Nathalie Schneider

Cap vers les îles Mingan. Tandis que des marsouins suivent obstinément l’étrave du voilier, de grosses vagues et une allure au près rendent nos déplacements sur le pont hasardeux. Minuit sonne alors que nous jetons l’ancre devant l’île Niapiskau, dans la réserve du parc national de l’Archipel-de-Mingan, cernée par la forêt boréale. Nuit sans rêve dans la bannette, bercés par le roulis constant.

Le sentier Samuel, qui relie l’anse des Bonnes Femmes depuis l’anse du Noroît le long de la baie, est un étonnant jardin aromatique qui recèle des trouvailles gustatives : mertensie maritime et sa saveur d’huître, sabline aux notes sucrées de concombre, livèche ou persil de mer, ou encore salicorne, l’asperge maritime croquante et salée. Notre progression sur le sentier a l’allure d’un circuit d’agrotourisme improvisé, tandis que balbuzards, eiders et parulines poussent la chansonnette au-dessus des estrans.

De l’art culinaire, nous passons à l’art plastique sur le petit sentier du poète Jomphe, une passerelle qui conduit joliment à travers les monolithes de calcaire sculptés par une nature à l’imagination fantasque, dont le plus célèbre de tous, la Dame de Niapiskau. Ces œuvres d’art sont évolutives puisque l’érosion y mène encore son lent travail abrasif. Une érosion non perceptible à l’œil humain, puisqu’elle évolue d’un millimètre par siècle.

Difficile de résister à contempler ces monolithes depuis la mer pour en avoir une nouvelle perspective. Départ en kayak de mer de l’île Quarry, direction l’anse à Barachois, sur la Grande-Île, pour une sortie de quelques heures avec Mathieu, fondateur de l’entreprise locale Noryak Aventures. L’archipel de Mingan est le paradis du kayak de mer, une embarcation à faible tirant d’eau qui peut se faufiler habilement entre les îlots du labyrinthe.

À marée basse, le rivage est un milieu fourmillant de vie : algues, coquilles et crustacés prolifèrent dans cet incroyable bouillon de culture. L’écosystème fragile du rivage souffre de l’effet des vagues et de la gélifraction des pentes de roche. Nous accostons pour une pause dîner ; notre guide nous réserve une dégustation d’oursins frais pêchés et de salade d’airelles et de bleuets cueillis sur place et saupoudrés de jeunes pousses de sapin. Un goût de forêt boréale éclate sous nos palais.

  • Infos pratiques : Ce circuit de deux semaines (« Un beau grand bateau ») s’adresse à tous, même sans expérience de navigation. Il comprend des randonnées et des excursions en kayak de mer. Trois itinéraires sont offerts cette année, incluant la découverte d’Anticosti, de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon. Forfaits à partir de 4875 $.
  • Info : karavaniers.com

Bateau-école et mission sociale

Depuis 2013, l’OBNL présente deux projets éducatifs à bord : une formation pour les cadets de la Défense nationale et le programme Cabestan, financé par le gouvernement du Québec, à l’attention des jeunes de 18 à 30 ans prêts à changer le cap de leur vie, en vertu des préceptes de Sail Training, une école qui répare les destinées par la voile. Plusieurs centaines de jeunes ont déjà pu bénéficier de cet accompagnement pour faire de cette expérience en mer une nouvelle trajectoire de vie. L’équipage qui encadre ces expériences est à l’image de la mission d’ÉcoMaris : humain, motivant et inspirant.

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