Profession : photographe d’aventure!
Six professionnels d’ici dévoilent à quoi ressemble leur vie. En bonus : anecdotes et petits secrets!
Pierre Dunnigan
(pierredunnigan.com)
Amoureux des espaces blancs, ce baroudeur basé dans les Cantons-de-l'Est se retrouve la plupart du temps dans le Grand Nord pour produire des reportages pour une multitude de magazines.
Anecdote de travail
« Mars 2010. La course de traineaux à chiens Ivakkak est réservée aux Inuits du Nunavik. Sans doute à cause de mes nombreux passages dans le Nord québécois à titre de photoreporter ou de guide, les organisateurs m’ont mandaté pour documenter l’évènement. Pendant douze jours, j’étais donc le seul Blanc (qallunat) à côtoyer les 46 mushers (et les 176 chiens!) qui parlent tous la langue inuktitute... et quelques bribes d'anglais! Une chance qu'au fil de mes séjours, j'ai moi-même pu engranger quelques mots de cette langue. À part l'épreuve linguistique, le défi principal était de prendre des photos sans trop s'approcher des chiens et en évitant de déranger les attelages durant les étapes de course. Presque autant que leurs maîtres, ces quadrupèdes sont traités en véritables vedettes, avec leur photo à la une des journaux et leur transport par avion nolisé; on leur déroule quasiment le tapis rouge! »
Leçon apprise sur le terrain
« Les appareils photo modernes, avec toute leur électronique, sont sensibles au froid. Et c'est doublement vrai au Grand Nord. Soit c'est la batterie qui s'évanouit en peu de temps, soit c'est la fenêtre de contrôle (à cristaux liquides) qui gèle et ne permet plus de lire les informations. Dans mon manteau, près de mon corps, c’est quatre batteries supplémentaires qui demeurent au chaud pour m'assurer de ne pas tomber en panne après trois ou quatre jours sur le terrain, sans possibilité de recharge. »
Jamais sans…
« Avec la qualité des capteurs numériques, je pense qu'il n'y a pas lieu de trop s'équiper avec des objectifs très lumineux et très lourds. J'aime bien pouvoir réduire mon attirail au strict minimum : deux boîtiers desquels je ne retire à peu près jamais mes deux zooms, un 10-20 mm et un 18-200 mm, pour ne pas avoir à me soucier des poussières sur le capteur. Je demeure donc léger et prêt à bouger rapidement. En fait, la seule autre chose que je traîne dans mon sac de taille (à part des cartes mémoire et des batteries), c’est une petite bouteille contenant une solution d'hydrate de méthyle, pour nettoyer mes optiques. Et ça ne gèle pas! »
Bernard Brault
(bernardbrault.com)
La référence québécoise en matière de photo de presse sportive, il fait les beaux jours et les unes du quotidien La Presse depuis 27 ans. S'il connaît parfaitement les coulisses des Jeux olympiques, il est tout aussi à l'aise dans un coin retranché du globe... ou du Québec.
Anecdote de travail
« Je revenais de Québec en direction de Montréal, après avoir photographié l’un des grands chefs cuisiniers de la Capitale. On parle souvent de “tempête du siècle”, mais celle de ce mois de mars 2008 en était toute une! Je ne devais pas rouler à plus de 10 km/h quand j'ai aperçu par hasard cette scène devant un petit hôtel à Saint-Apollinaire. Je n'ai eu qu'à descendre ma vitre de voiture pour saisir cet instant de grâce (ou de chaos) hivernal. Il n'est jamais facile de faire des images dans de telles conditions météo et de lumière, mais celle-là m'a valu un prix de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, dans la catégorie “vie quotidienne”. Comme quoi, on ne sait jamais où et quand le destin peut nous offrir une opportunité! »
Leçon apprise sur le terrain
« La photo de sport implique de se retrouver dehors par tous les temps imaginables; on apprend vite à craindre le froid et la pluie pour son équipement – encore plus quand les deux sont réunis! On ne peut se permettre de rentrer à l'intérieur comme bon nous semble et risquer que l'humidité s'infiltre et bousille l'électronique ou les optiques. Le jour où Jasey-Jay Anderson remportait l'or en surf des neiges aux JO à Vancouver, il a plu de 9 à 15 heures. Mais bien habillé et avec une housse sur l'appareil, je suis resté dehors jusqu'au dénouement final! »
Jamais sans…
« Pour aller jouer avec les skieurs dans la poudreuse, j'ai délaissé la solution du sac à dos pour apprécier dorénavant la proximité du sac Toploader Pro AW 75 de Lowepro. Grâce au harnais rattaché au dos, sa position ventrale permet de dégainer beaucoup plus facilement et rapidement, en plus de mieux balancer le poids de l'appareil en descente et faciliter l'embarquement dans les remontes pentes. »
Steve Deschênes
(stevedeschenes.com)
S'il n'est pas en train d’enjoliver les pages du quotidien Le Soleil à Québec, cet ancien mécano de train aime vagabonder, surtout dans le réseau des parcs du Québec.
Anecdote de travail
« L'eau et son mouvement perpétuel attirent régulièrement mon œil. Pour bien en saisir le mariage avec la lumière, il faut impérativement être stable et immobile. Une fois où j'étais installé à proximité d'une chute dans la réserve faunique Rouge-Matawin, j'ai soudainement manqué d'adhérence et j’ai glissé avec trépied et caméra sur plus de sept mètres jusqu'au fond du cours d'eau. J'ai été entraîné sous l'eau pendant sept autres mètres, alors que je tenais le trépied à bout de bras pour qu'il ne soit pas immergé. Je m'en suis finalement sorti, avec une coupure au front, plusieurs ecchymoses, un boîtier à sécher et une lentille 35-70 mm à démonter… »
Leçon apprise sur le terrain
« Faire gaffe aux roches humides! »
Jamais sans…
« Je trimballe toujours un sac au sec de 30 litres avec moi, qui se roule tout petit et est prêt à me rendre de fiers services. Ce peut être évidemment pour les activités nautiques, mais aussi dans le cas d'un orage en montagne, pour y préserver mon matériel photo ou y ranger des vêtements de rechange… »
Sébastien Larose
(sebastienlarose.com)
Si son penchant pour les mises en scène délurées de vélo de montagne ou de sports de glisse lui a valu bon nombre de contrats lucratifs au fil des ans, Sébastien Larose est tout aussi habile dans des contextes plus « tranquilles » de tourisme ou d'expédition, où son enthousiasme contagieux l'amène parfois à se mettre lui-même en scène.
Anecdote de travail
« J'avais entrepris d'accompagner à San Francisco le représentant canadien d'un manufacturier américain de vélo de montagne, question de convaincre l'entreprise locale de mes compétences de photographe. Sur place, il me fallait trouver un lieu qui mettrait en scène non seulement le beau prototype qu'on nous avait prêté, mais aussi ses origines californiennes. La bonne montagne avec le bon point de vue, à proximité du Golden Gate Bridge, n'était accessible qu'en traversant à pied une autoroute à huit voies, puis à la gravir à travers une broussaille aussi dense qu'égratigneuse. Mais rendu au sommet, avec la lumière de fin de journée, ç'a été un moment de grâce — et la compagnie a acheté toutes les photos! »
Leçon apprise sur le terrain
« J'étais en reportage à Amsterdam lorsque l'obturateur de mon seul et unique boîtier a rendu l'âme. Mais c'était mon jour de chance : mon aubergiste a eu la gentillesse de me reconduire chez Canon Europe, dont les bureaux se trouvaient à 90 minutes de là. Sur place, je suis tombé sur le plus extraordinaire représentant de service, Harold Katsburg, qui m'a non seulement réparé le tout en trois jours, sans frais, mais m'a même prêté un boîtier semblable en attendant. De retour à Montréal, je lui ai fait parvenir un tirage grand format d'une de mes images. Depuis, je ne pars plus sans un deuxième boîtier! »
Jamais sans…
« Mon flash Vivitar 285, vieux de près de 20 ans mais toujours fidèle, et un ensemble de déclencheurs à ondes radio. Avec eux, je suis prêt à transformer, n'importe où et à ma guise, n'importe quelle situation de lumière terne ou capricieuse. »
Jean Bruneau
(vizart.ca)
En 30 ans de carrière, il a joué tous les rôles : photojournaliste, enseignant en photo, conseiller en boutique, technicien en réparation ou encore consultant technique (pour le fabricant de caissons Aquatica). Ses images trahissent sa passion pour le monde sous-marin et ont fait l'objet de multiples publications et expositions internationales.
Anecdote de travail
« Cette plongée de nuit sur la côte de l'île de Kona à Hawaii restera gravée dans ma mémoire. Nous sommes à 15 mètres de profondeur et la lumière de nos lampes a attiré le plancton, la nourriture de prédilection des raies manta. Bientôt, une demi-douzaine de raies tourne autour de nous lorsque que deux d'entre elles (larges de 4,5 mètres) virent soudainement et foncent droit vers moi, bouches grandes ouvertes. Au tout dernier moment et à quelques centimètres de mon masque, elles braquent vers le haut en effleurant doucement ma tête au passage. Malgré mes années de plongée et le fait que ces grandes dames soient inoffensives, je peux vous assurer qu'il est possible de suer sous l'eau! Et comme pour contrebalancer cette montée d'adrénaline, je me suis retrouvé le même soir en compagnie d'une baleine à bosse pour un récital de vocalises de vingt minutes. De quoi devenir bouddhiste! »
Leçon apprise sur le terrain
« En photo sous-marine, on se retrouve avec un attirail d'équipement qui doit être alimenté en batteries de toutes sortes : les boîtiers, les flashs, les lampes de plongée, etc. Pour éviter de se perdre dans ce lot d'une vingtaine de piles (fraîches, déchargées ou défectueuses), je me suis élaboré un code d'identification unique qui tient compte de leur identité unitaire et de leur regroupement. Par exemple, un premier groupe de quatre piles de format AA partageront les codes A1, A2, A3, A4, un autre groupe B1, B2, B3, B4 et ainsi de suite. »
Jamais sans…
« Je ne pars jamais sans ma lampe de mise au point Sola 600 de Light&Motion, qui facilite grandement l'ajustement de la mise au point. Celle-ci dispose d'un mode d'éclairage rouge, dont les ondes ne sont pas perçues par plusieurs invertébrés marins, ce qui permet donc de les approcher plus facilement. »
Éric St-Pierre
(ericstpierre.ca)
Avec un diplôme universitaire en géographie et une formation en photo du collège Dawson en poche (couplés à une folle envie de voyager), Éric St-Pierre s'est trouvé une voie unique : celle de documenter la vie dans les pays en développement. Sa collaboration de longue date avec Oxfam-Québec s'est transformée en vocation pour promouvoir le commerce équitable : il a déjà publié trois livres sur le sujet.
Anecdote de travail
« J'étais au Vietnam pour un court séjour de reportage sur le café en 2001. J'essaie habituellement de rester plus longtemps sur place, mais je n'avais cette fois que 10 jours à passer en compagnie d’un guide et d’un représentant gouvernemental. Il ne fallait donc pas gaspiller les opportunités! Alors que j'étais dans une région rizicole, j'avais planifié de profiter d'un après-midi libre pour faire quelques images des travailleuses. Hélas, il n’y avait pas grand monde aux champs à cette heure, mais lorsque j’aperçus finalement une famille, je me suis mis à courir dans sa direction, par enthousiasme ou par crainte de manquer de temps. Encore haletant, je montre mon appareil en guise de présentation, mais mon approche un peu trop précipitée me valut un rejet de ma requête et le seul et unique carton rouge de ma carrière! Penaud, j'ai rebroussé chemin, bien conscient que j'avais péché par excès de zèle. Le lendemain, aux aurores, j'ai pris le temps qu'il fallait pour refaire mon approche dans une autre rizière, cette fois avec moins de hâte. Et là, on m'a accueilli avec égard et diligence — plus un succulent gâteau de riz! »
Leçon apprise sur le terrain
« L'anecdote des rizières au Vietnam m’a confirmé cette règle d'or : comme dans la fable, rien ne sert de courir, il faut partir à point pour récolter des images ethnographiques plus riches. Le respect du sujet est à la base du travail d'un reporter. L'importance du non verbal est tout aussi grande, sinon plus, que le verbal dans nos contacts avec les gens que l'on veut photographier, surtout dans le contexte de cultures qui nous sont étrangères. Vouloir précipiter les choses ne peut que faire fuir le naturel et l'authenticité d'une scène, d'une action ou d'une rencontre. »
Jamais sans…
« Ce n'est peut-être pas l'objectif le plus impressionnant pour certains, mais c'est pour moi un indispensable : ma 35 mm f2, que j'appelle aussi ma “lentille confort”. À l'opposé d'une longue focale qui permet d'épier à distance mais qui, de proche, crie “tasse-toi, je suis un pro!”, ce grand-angulaire “qui-n'en-est-pas-un”incite, avec humilité et douceur, au rapprochement sinon aux confidences, sans pour autant déformer la réalité comme un très grand-angulaire. »