Ski alpin, plein air et gros sous
Chaque année, le gouvernement provincial investit des millions dans l’industrie du ski alpin. Des sommes disproportionnées par rapport au plein air en général? Oui et non.
« Une tempête de nouveautés souffle sur les stations de ski du Québec » : c’est en ces termes que l’Association des stations de ski du Québec (ASSQ) annonçait la couleur, l’automne dernier, à l’approche de la saison hivernale. Nouvelles remontées mécaniques, chalets d’accueil flambant neufs, extension du domaine skiable : rien n’est trop beau pour attirer les skieurs dans toutes les régions du Québec. Rien que pour cet hiver, les stations québécoises ont investi pas moins de 78 millions de dollars en améliorations de toutes sortes. Toute une somme, quand on connait l’extrême instabilité de l’industrie du ski particulièrement soumise aux effets des changements climatiques, des effets confirmés par un rapport produit par le Consortium Ouranos, en janvier 2019.
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Selon ce regroupement de chercheurs en climatologie, l’industrie québécoise du ski alpin devra adopter un code de bonnes pratiques – enneigement, damage, entretien, optimisation énergétique, etc. – pour « accroître la résilience des stations de ski face aux changements climatiques. » Du même souffle, le rapport d'Ouranos évalue à deux degrés l'augmentation des températures d'ici 2050, ce qui ne compromettrait pas les activités des stations de ski. Tant qu’il y a des précipitations blanches…
Priorité aux stations
« Notre meilleur outil marketing, c’est la tempête de neige! résume Josée Cusson, directrice des communications et du marketing à l’ASSQ. Et, depuis quelques années, la neige est au rendez-vous. La saison dernière a été la meilleure en dix ans, avec un record de 6,4 millions de jours/ski. » De plus, les nouvelles technologies en fabrication de neige permettent aux stations de débuter et de prolonger la saison quand la neige naturelle vient à manquer.
Cependant, le taux de fréquentation des pistes ne suffit pas à récolter ces sommes souvent astronomiques; le ski alpin est bien souvent « sous assistance financière ». « Avec la Stratégie de mise en valeur du tourisme hivernal en 2014, le gouvernement a investi plus de 76 millions de dollars dans le développement des stations de ski, explique Josée Cusson. Cet argent leur a permis d’opérer un levier financier auprès d’Investissement Québec, de financements privés ou d’institutions bancaires, et de réunir un peu moins de 500 millions de dollars en tout. »
Ce plan d’investissement public, qui s’échelonne jusqu’en 2020, s’inscrit dans le cadre du Programme de soutien aux stratégies de développement touristique (SSDT). L’objectif : amplifier le pouvoir d’attractivité d’une quarantaine de stations québécoises auprès des marchés ontariens, américains ou mexicains en faisant valoir leur position géographique nordique, favorables aux « vrais » hivers.
Des résultats prometteurs
Ce plan de financement des stations de ski visait 5 % de croissance annuelle avec des retombées économiques de 700 millions de dollars et la création de 50 000 nouveaux emplois. Cette année, qui marque l’échéance de ce programme, les résultats dépassent même les objectifs puisque les retombées se chiffrent à 800 millions de dollars pour l’hiver 2018-2019.
À l’instar d’autres grosses stations de ski privées, Bromont, une montagne d’expériences (BME), a profité de cette vague de subventions publiques pour se lancer dans un développement majeur : le projet Altitude, un plan d’aménagement repensé sur le versant principal de la montagne avec des structures d’accueil, d’hébergement et de restauration. Cout des opérations : 100 millions de dollars échelonnés entre 2018 et 2026. Rien que cette année, ce sont 18 millions de dollars qui sont injectés.
« Nous avons inauguré un tout nouveau chalet au sommet de la montagne, ajouté plusieurs canons à neige et optimisé certaines pistes », précise Hélène Bélisle, conseillère marketing et communication à BME. Avec 600 000 jours/ski annuels, la station est un pôle d’attraction considérable dans la région, ce qui lui permet de compter sur deux autres appuis financiers à part égales avec celle du gouvernement : Investissement Québec et le Mouvement des caisses Desjardins. D’ailleurs, c’est la montagne au complet, et en toutes saisons, qui profite de ces investissements, puisqu’une petite partie est attribuée à l’entretien de sentiers de vélo de montagne qui se trouvent au sommet.
Même principe, en modèle réduit, à la station récrotouristique du Mont-Adstock, gérée par une coopérative de solidarité. Une collecte de fonds réalisée auprès de fondations, d’entreprises locales et de skieurs lui a permis de réunir 692 000 dollars, additionnés à l’obtention de 1,3 million de dollars en deniers publics. « C’est ce programme qui permet au Mont-Adstock de se relever, s’enthousiasme son directeur général, Mathieu Desmarais. Le gouvernement s’est rendu compte qu’une station de ski en santé, ça rejaillit sur la qualité de vie des citoyens et sur la santé publique. » Là aussi, une part de ces financements sont consacrés à prolonger et entretenir les sentiers de randonnée; cette année, 5,3 km sont ajoutés au réseau. Avec le parc national de Frontenac tout proche, ça confirme l’identité plein air de la région.
Certes, la Stratégie du ministère du Tourisme priorise clairement les pistes de ski pour redonner son pouvoir attractif à nos hivers, mais pas seulement : celle-ci vise également la motoneige, les festivals et les parcs nationaux. « Depuis 2014, 240 millions de dollars ont été investis dans le réseau de la Sépaq grâce à du financement gouvernemental. Ils ont permis la construction ou la rénovation de différentes infrastructures : hébergements, routes, sentiers, quais, campings, etc. », résume Simon Boivin, porte-parole de la Sépaq. Et l’an dernier, on annonçait 120 millions de dollars pour des aménagements futurs.
Du côté du plein air
Lancée en 2012, la Stratégie de mise en valeur du tourisme de nature et d’aventure affirmait vouloir replacer le Québec au cœur du marché international avec une offre nettement orientée vers le multi-activités en pleine nature. Mais son aide consistait surtout à soutenir l’investissement privé et à offrir un accompagnement aux entrepreneurs en tourisme d’aventure, en partenariat avec les Associations touristiques régionales (ATR). Pourtant, la Stratégie l’affirme : le tourisme de nature et d’aventure, ce sont 700 millions de dollars en retombées annuelles et pas moins de 11 000 emplois.
Bonne nouvelle : le gouvernement provincial semble voir le plein air comme l’un des moyens de faire bouger les Québécois. Depuis l’an dernier, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur octroie 6 millions de dollars annuels pour la réfection et la mise à niveau des sentiers de randonnée et des sites de pratique d’activités de plein air : en tout, 17 000 km de sentiers multi-activités sont visés.
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Devant le succès des appels d’offre lancés partout au Québec, le gouvernement a prolongé cette subvention jusqu’en 2024, ce qui totalise un budget de 30 millions de dollars pour les cinq années à venir. Un geste plutôt bien reçu, même si… « À la Coalition plein air [un regroupement d’organismes nationaux du plein air], nous avions évalué les besoins à 100 millions de dollars juste pour le rattrapage des sentiers, sans compter 50 millions de dollars annuels pour les maintenir en état », explique Jean-Luc Caillaud, directeur général de Rando Québec. Loin du compte, donc.
Ceci étant, l’intention est prise. Les Unités de loisir et de sport (URLS), qui procèdent de manière indépendante dans chaque région autant pour le choix des projets que pour le montant de leur financement, ont clairement reçu, depuis deux ans, la recommandation de soutenir des initiatives liées à l’activité physique et au plein air grâce à un Programme d’assistance financière.
« Dans notre région, à la suite d’un appel d’offres, nous avons orienté nos budgets vers des projets de plein air avec des plans d’action et de financement, explique Dominique D’Arcy, directeur général de l’URLS de la Capitale nationale. On sent que l’action de la Coalition plein air porte ses fruits et que le gouvernement a clairement indiqué son intention de travailler dans ce sens. » Pour autant, les budgets consentis à chaque projet restent mineurs et n’excèdent pas quelques milliers de dollars.
« L’important est de soutenir l’activité physique, quelle qu’elle soit, tempère Patrick Daigle, du Département des Sciences de l’activité physique de l’UQAM, et membre actif de la Coalition plein air. Le ski alpin est une grosse industrie qui rapporte beaucoup d’argent. On ne peut pas comparer ses budgets à ceux du plein air en général. L’important est de soutenir l’accès au territoire sous toutes ses formes, en privilégiant les activités de proximité : rouler 400 km pour compléter un sentier de 6 km, c’est aberrant! »
Selon l’enseignant, toute initiative pour sortir les gens de la sédentarité et les rapprocher de la nature est bonne à prendre. « Il faudrait que le Québec s’inspire du modèle de la Norvège, poursuit Patrick Daigle, où une loi impose que tout citoyen ait accès à un sentier à 500 m au plus de chez lui! » Défendre une vision sociale qui redonne à la nature son vrai pouvoir : cet investissement-là n’a pas de prix.
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