L’industrie du plein air et l’environnement - Le virage vert : pour des affaires plus propres !
Parce que leur industrie dépend de l’environnement, certaines entreprises de plein air ont décidé de se mettre au vert. Elles l’ont prouvé : vision environnementaliste et productivité peuvent aller de pair. De quoi inspirer celles qui dorment encore au gaz… à effet de serre!
Les entreprises qui se spécialisent dans la production et la distribution de matériel de plein air polluent énormément, et elles le savent. La différence avec d’autres types d’entreprises, c’est qu’elles ne s’en cachent pas. Mieux, elles posent des gestes concrets afin de minimiser leur impact sur l’environnement.
« L’industrie du plein air est de plus en plus responsable, soucieuse et conscientisée en matière d’environnement, comme ses clients », confirme Murielle Vrins, d’Équiterre. Un immense pas a été franchi par plusieurs compagnies, comme Patagonia, MEC, Eider, PrAna, entre autres, qui proposent des modèles d’entreprises très engagés, plus responsables. Leurs champs d’action sont multiples : investissement dans la recherche pour utiliser des matériaux écologiques ou recyclés, recours aux énergies propres dans le processus de production, soutien financier à des organismes environnementaux, etc.
Un geste à la fois, elles contribuent à rétablir l’équilibre entre nature, écologie et productivité.
La raison première de ce virage vert est simple : « À cause de la nature même de leur entreprise, les compagnies qui évoluent dans le domaine du plein air doivent tenir compte de leur impact sur l’environnement et agir », avance Megan Davis de l’Outdoor Industry Association, qui regroupe 1100 compagnies américaines spécialisées en la matière. « Notre survie dépend de celle de la nature et de l’environnement », poursuit-elle. Le jour où la planète sera tellement polluée qu’on ne pourra plus profiter de notre milieu, la première industrie qui fera faillite sera sans conteste celle dont l’économie repose sur son équilibre.
Des modèles qui changent le monde
Si beaucoup d’entreprises ont pris une orientation plus verte ces dernières années, certaines n’ont pas attendu que le mot « environnement » soit sur toutes les bouches pour s’engager à réduire leur impact. C’est le cas de Patagonia, pionnière en la matière dès les années 1970. À cette époque, les sports de plein air prennent de l’essor et la pression sur les écosystèmes croît en même temps que le nombre d’usagers. C’est notamment le cas dans le domaine de l’escalade où l’usage de pitons d’acier dur détériore rapidement les parois. Constatant ces dommages, le fondateur de l’entreprise, Yvon Chouinard, Américain d’origine québécoise, pose un premier geste environnemental. En 1972, sa compagnie est numéro un en production de matériel d’escalade en Amérique du Nord et les pitons constituent la pierre angulaire de son entreprise; pourtant, il décide de mettre un frein à la production de ces pitons et mise sur des coinceurs en aluminium, qui ne laissent pratiquement aucune trace sur le rocher. Le concept d’escalade propre était lancé.
La même réflexion a amené l’entreprise à miser sur le coton biologique dès 1994, donc bien avant tout le monde. Plus cher à produire, à égrener, à tisser, à tricoter, le coton bio a entraîné des coûts de production de 50 à 100 % supérieurs. Une difficulté qui n’a pas empêché le conseil d’administration de choisir cette option, certes plus verte, mais plus coûteuse, tant pour la compagnie que pour les clients.
« Les préoccupations environnementales de Patagonia sont à l’image de leur fondateur », indique Jill Dumain, directrice du département de l’environnement. « Yvon est un adepte de nature, un grimpeur, un surfeur, un grand voyageur; pour lui, la gestion de l’entreprise se conjugue nécessairement avec l’environnement. L’un ne va pas sans l’autre! »
L’innovation au service de l’environnement
L’industrie du plein air opère progressivement de petites révolutions dans le choix des matériaux et textiles qu’elle utilise. Avec le temps, elle a imposé de nouveaux standards en matière de recherche, quitte à prendre des risques en augmentant ses coûts de production.
Deuxième en Amérique du Nord et premier au Canada en matière d’environnement, Mountain Equipment Coop (MEC) sait que l’industrie de grande nature est polluante. « Beaucoup de produits sont issus des pétrochimies, comme le polyester, le nylon et les déperlants, qui ne sont pas très propres », reconnaît Marc Blais, directeur des communications françaises et développement d’affaires chez MEC. « Mais on effectue des recherches, en collaboration avec l’Université de Colombie-Britannique, pour développer des produits synthétiques et des processus moins dommageables, en accord avec le développement durable. »
Marc Blais relève également un beau paradoxe : « MEC n’hésite pas à fabriquer des produits avec les meilleurs matériaux disponibles, qui sont toutefois plus polluants, mais aussi, plus durables. On évite ainsi qu’ils se retrouvent trop rapidement dans les sites d’enfouissement, ou qu’ils ne nécessitent l’emploi de plusieurs traitements imperméabilisants et déperlants encore plus ravageurs. »
La coopérative se positionne aussi parmi les 15 plus importants acheteurs de coton biologique au monde. « Quand on dit que nos vêtements sont 100 % bio, ils le sont », assure-t-il. « Un engagement important, quand on sait que 2,4 % des terres arables de la planète sont occupées par des champs de coton qui requièrent 25 % de tous les insecticides utilisés dans le monde, toutes activités agricoles confondues », révèle Murielle Vrins d’Équiterre.
Plusieurs fabricants d’équipement de plein air font aussi leur part en utilisant des tissus à base de fibres naturelles qui poussent facilement ou ne nécessitent pas ou peu de produits chimiques. Chez Alizée, fabricant québécois de prêt-à-porter, on souhaite ainsi miser, dans un avenir rapproché, sur des fibres telles le bambou, le soya, le lin, et le coton biologique. « Les fibres naturelles permettent de trouver des solutions de rechange aux vêtements synthétiques, issus des pétrochimies, donc très polluants », indique François Gaudreault, directeur de marque. En attendant de développer encore plus ce créneau, le tiers des boîtes qu’il utilise pour distribuer ses sous-vêtements est réutilisé, grâce à une entente conclue avec ses distributeurs.
Recycler pour prospérer
Qu’il concerne les emballages ou les matières premières, le recyclage permet une économie d’énergie et de pollution en évitant la production de nouveaux matériaux. Tantôt révolutionnaires, tantôt très simples, les initiatives en ce sens se multiplient.
En recyclant 98 millions de bouteilles de plastique entre 1993 et 2005 pour produire ses vestes polaires, Patagonia s’est imposée comme un exemple en matière de recherche et développement. « Pour chaque lot de 150 polaires en polyester vierge que nous avons remplacé par du polyester recyclé, nous économisons 170 litres de pétrole et évitons le rejet dans l’air d’une demi-tonne de particules toxiques », écrit Yvon Chouinard, dans Homme d’affaires malgré lui (lire l’extrait page 54), qui relate son histoire et l’incroyable ascension de Patagonia, malgré des valeurs plutôt iconoclastes et écologistes.
Une initiative qui a grandement inspiré Chlorophylle, comme en témoigne Kathy Bound, directrice de marque. « Nous avons été les premiers au Canada à travailler avec du polyester recyclé à partir des bouteilles de plastique », affirme-t-elle. Le plastique recyclé peut aussi se transformer en semelles, comme certaines de la marque Vibram, qui sont privilégiées chez Chaco, fabricant de sandales. « On utilise des colles à base d’eau, et on offre un service de reconstruction des semelles ou de la tige, afin d’éviter que les sandales ne se retrouvent à la poubelle », explique Allie Noland, représentante pour la marque.
Réutiliser de vieux vêtements issus des pétrochimies représente une solution de rechange innovatrice pour contrer la surproduction de nouveaux matériaux. Le programme « Common Threads », lancé en 2005 par Patagonia, permet de recycler les vieux vêtements en capilène, polyester ou coton donnés par les consommateurs, et de les utiliser pour fabriquer de nouveaux produits. « Une initiative très nouvelle dans le domaine du plein air », souligne Jill Dumain.
Inspirée, inspirante, Patagonia est un exemple à suivre, notamment pour de petites compagnies québécoises comme Quartz Nature, qui n’hésite pas à dérouler le tapis vert pour l’environnement. Dix pour cent de tissus et 35 % d’isolant sont perdus lors de la production de nos vêtements d’hiver », illustre Audette Hervieux, directrice. Ils seront désormais récupérés pour faire des tapis d’auto. « On est bien contents de leur avoir trouvé cette seconde vie! »
Des entreprises écoénergétiques
Pour réduire l’émission des gaz à effet de serre – GES – dans toutes les étapes de mise en marché d’un produit (de sa confection à sa distribution), certaines compagnies ont mis sur pied des programmes audacieux, et se tournent vers des sources d’énergie propre, comme l’éolien, ou encore établissent leur boutique dans des bâtiments écoénergétiques.
Par exemple, en calculant le total d’émissions de GES produit par 400 de leurs distributeurs dans le monde, de leurs bureaux et même des maisons de leurs employés, PrAna achète des certificats éoliens qui permettent de compenser l’équivalent de leur dépense énergétique. « Cela correspond à 22 112 tonnes de GES », clarifie Lea Peterson, coordinatrice des ventes internationales. « C’est l’équivalent de la suppression de 4787 voitures ou la plantation de 75 kilomètres carrés d’arbres par année. » Chez Chaco, l’utilisation de l’énergie éolienne permet d’économiser 572 600 livres d’émissions de gaz de charbon chaque année.
Récupérer de l’énergie déjà produite pour chauffer des bâtisses, voilà une mesure inventive qui témoigne d’un comportement responsable. « La chaleur qui est récupérée du four de rotomoulage sert à chauffer 100 % de nos espaces de production à l’usine », révèle Isabelle Roy, de Boréal Design.
D’autres compagnies s’installent dans des écoconstructions. En ce sens, le programme de MEC est très novateur. Dans un premier temps, si un local existant convient, la coopérative n’en construira pas un nouveau, mais le rénovera selon ses normes, avec des matériaux et des entrepreneurs locaux. La succursale de Québec en constitue un bel exemple. Leur modèle d’écoconstruction, comme celui de Montréal, permet d’économiser 70 % d’énergie par rapport à un bâtiment similaire. Autre détail majeur, commente Marc Blais : « Notre démarche est globale, elle ne résulte pas de gestes isolés, mais d’une réflexion profonde. […] Chez MEC, chaque employé de chaque département doit prendre conscience de son impact environnemental. C’est ça, une démarche globale en matière d’environnement! »
Des billets plus verts
Une autre forme d’engagement des fabricants de matériel de plein air se concrétise par un soutien financier à des organismes environnementaux, qui contribuent à assurer la pérennité des espaces naturels. Chef de file dans ce domaine d’action également, Patagonia a versé l'équivalent de 10 % de son chiffre d'affaires ou 1 % de son profit à des organismes de protection de l'environnement depuis 1985. En 2001, Yvon Chouinard cofondait par ailleurs l’Association 1 % pour la planète, qui regroupe désormais 450 entreprises qui donnent 1 % de leur chiffre d’affaires à des organismes environnementaux.
Mountain Equipement Coop fait partie de ce club sélect. Le montant redistribué s’est élevé à deux millions de dollars en 2006. La coopérative possède aussi un fonds dédié à l’environnement qui existera même si la compagnie disparaît. « On a ainsi donné environ 10 millions de dollars au cours des dix dernières années », annonce Marc Blais.
Autre initiative intéressante : encourager les employés pour qu’ils collaborent au virage vert. En plus de réinvestir 3 % de ses profits pour l’environnement, la compagnie Chaco alloue un dollar par jour à tout employé qui vient travailler à pied ou à vélo. Le montant s’élève à deux dollars/jour quand l’employé accumule un minimum de 15 jours par mois.
Commanditer des équipes de chercheurs impliqués dans la lutte au réchauffement de la planète est un autre moyen d’agir. Les équipes du Sedna IV et du Défi Québec Monde ont entre autres pu profiter du programme de Chlorophylle qui consacre 35 % de son budget de commandite à l’environnement, soit l’équivalent de 40 000 $ cette année. Pour sa part, Boréal Design a appuyé le Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick ainsi que la Fondation de la faune du Québec dans leurs campagnes de financement. Un soutien significatif pour les différents acteurs qui œuvrent dans les sciences naturelles.
Chaque geste compte
« La philanthropie, c’est bien beau, mais donner 1 % de son chiffre d’affaires n’est pas non plus la seule solution », souligne Corinne Gendron, de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’Université du Québec à Montréal. « De petites compagnies ont parfois des problèmes de liquidités. Recycler à l’interne, éduquer ses clients, ses employés, voilà des mesures simples qui peuvent faire une grosse différence. »
À La Cordée, ce message est un mot d’ordre. Chaque geste compte, pour cette entreprise d’ici qui a récemment fourni du matériel à l’équipe du Sedna IV. Sandra Larochelle, du marketing, explique les nombreux engagements verts de La Cordée. « À Laval, nous avons dû engager nous-mêmes une compagnie de recyclage pour la collecte de nos matières recyclables. Notre catalogue est en ligne et pas sur papier. Nous formons tous nos employés pour qu’ils connaissent les principes de base du Sans Trace. Nous exigeons de nos fournisseurs qu’ils réduisent leurs emballages au minimum, et nos employés demandent à nos clients s’ils veulent un sac ou non. Enfin, nos nouvelles étiquettes sont 100 % recyclées. » Autant de mesures simples, concrètes, à l’interne, qui reflètent l’engagement environnemental de l’entreprise. Le tout, à la mesure de ses moyens!
Les entreprises qui prennent aujourd’hui les moyens de réduire leur impact sur l’environnement ont compris l’importance d’agir maintenant. « Mais il y a encore beaucoup à faire. Les compagnies doivent amorcer une réflexion plus profonde », lance Murielle Vrins d’Équiterre. « D’où viennent les produits et les matériaux qu’elles utilisent, est-ce qu’elles œuvrent dans des bâtiments qui sont efficaces en matière d’économie d’énergie? Il faut vraiment qu’elles aient une vision plus globale », conclut-elle.
« D’ici quelques années, ce sera non seulement bon pour l’image de ces compagnies, mais plus que cela, ce sera devenu une contrainte, le b.a.-ba », souligne Corinne Gendron, de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’Université du Québec à Montréal. « Dans le contexte actuel, faire des recherches, investir pour trouver des solutions moins polluantes, ça rapportera, à court ou à long terme. Dans ce domaine, les compagnies qui ne font rien seront bientôt acculées au pied du mur, perdront la confiance de leurs employés comme de leurs clients », constate-t-elle.
L’appel est lancé. Dans un monde où la surconsommation n’a pas échappé à l’industrie du plein air, un virage aussi vert que possible est désormais souhaité.