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  • Crédit: Diana Indiana

La mort du guide de voyage?

Avec l'avènement des nouveaux médias électroniques, certains analystes annoncent la fin du guide de voyage imprimé. Est-ce le début d'un temps nouveau?

Les ventes chez les grands éditeurs de guides touristiques sont à la baisse. Depuis l’arrivée des technologies mobiles, plusieurs délaissent l'embarrassante « brique » pour la légèreté du Web. L'intérêt populaire pour les guides électroniques (ces applications que l'on télécharge sur son téléphone intelligent) vient du fait qu’ils permettent d’obtenir du contenu inédit et des fonctionnalités révolutionnaires. Tout cela, dans le but de faciliter la recherche d'informations et bonifier l'expérience du voyageur.

Les gros joueurs du marché du guide touristique — Lonely Planet, Rough Guides, Guide Michelin — ont emboîté le pas et offrent déjà ce type de plateforme en mettant à contribution les technologies de reconnaissance visuelle et de géolocalisation pour créer une « réalité augmentée ». Il n'y a qu'à pointer la lentille du cellulaire devant soi et l'application déniche l'information pertinente sur ce qu'elle voit.

En comparaison avec le guide classique — certains diront « antique » —, les avantages que procurent cette accessibilité à une quantité d'information et l'actualisation accélérée de celle-ci sont indéniables, mais il faut mettre dans la balance les restrictions intrinsèques de ces nouvelles technologies : dépendance aux batteries, à la couverture réseau, convoitise auprès des voleurs. Et le iPhone qui glisse de votre sac et se retrouve dans le sable — ou pire, dans l'eau! — n'aura jamais autant de chance d'en réchapper qu'un bon vieux guide imprimé.

Le marché est-il mûr pour ce genre de révolution? Lonely Planet laisse entendre que durant l'épisode des cendres volcaniques qui a paralysé l'espace aérien européen, quatre millions de téléchargements de son application Compass ont été effectués en quatre jours. Il faut spécifier que c'était lors d'une offensive de marketing auprès des voyageurs coincés et que le produit était offert gratuitement, mais les chiffres demeurent impressionnants.

L'un des adversaires directs de l'éditeur australien dans ce créneau émergent est mTrip, une entreprise basée à Montréal qui, pour l'instant, vise surtout les clientèles états-unienne et européenne. Son application, disponible en six langues et traitant jusqu'à présent d'une vingtaine de grandes métropoles, livre la majeure partie de son information interactive sans recours à une connexion wi-fi (par contre nécessaire pour les mises à jour de contenu et les commentaires d'autres usagers). La jeune compagnie semble avoir le vent dans les voiles.

Au Québec, on n’en est pas encore rendu là. L'éditeur local Ulysse propose bien son contenu en fichiers PDF téléchargeables, mais sans plus, car ses ventes pour l'imprimé semblent se maintenir. Son président Daniel Desjardins, également membre de la Chaire de commerce électronique des HEC Montréal et du comité sur la numérisation de l'Association nationale des éditeurs de livres soupèse le pour et le contre : « Nous en sommes à observer et étudier le marché des plateformes mobiles et on note qu'il s'y fait beaucoup d'investissements, mais qu'avec la tradition de gratuité sur le web, le retour sur ces investissements ne sont pas très grands. »

« L'avantage principal de la technologie moderne réside dans les fonctionnalités reliées à la géolocalisation, ce qu'aucun guide imprimé ne peut offrir. Mais les limitations actuelles doivent être considérées : le contenu est encore très générique dans sa qualité et restreint aux destinations grand public, et il y a la question de la convivialité des écrans de téléphones qui en rebute plus d'un, même si le iPad pourrait améliorer les choses à ce niveau. Pour le moment, je crois que notre offre de fichiers téléchargeables fait l'affaire pour une majorité de notre clientèle. »

Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, l'avis du fondateur de mTrip, Frédéric De Pardieu, recoupe celle de Desjardins. Il convient qu'il existe une clientèle pour chaque plateforme, imprimée ou numérique : « Qu'importe le groupe d'âge concerné, notre produit s'adresse aux utilisateurs/adeptes confirmés du téléphone intelligent. . Au-delà de l'outil, je crois à l'importance cruciale de la qualité du contenu offert qui permet à un produit ou un service d'être véritablement apprécié. » À ce chapitre, le contenu éditorial de base des apps de mTrip provient directement de l'éditeur européen de guides Marco Polo. Et pour ce qui est de l'information issue des usagers, elle fait l'objet d'un contrôle par l'équipe de mTrip, en modérant les commentaires qui pourraient être abusifs ou injurieux.

Qu'on le veuille ou non, nous sommes irrémédiablement en train de tourner la page en termes technologiques et le choix que l'on fait à ce niveau est une simple question de goût et de besoins réels du voyageur. C’est plutôt au niveau de l'approvisionnement et du contrôle du contenu qu'il y aurait lieu de s'interroger. D'une part (et de l'aveu de bien des rédacteurs), l'époque où le journalisme touristique était une activité professionnelle viable est à peu près terminée et une bonne partie du contenu est souvent produit par des pigistes, cantonnés dans leur bureau à la maison plutôt que sur le terrain puisque cela coûte moins cher. D'autre part, l'information diffusée sur le web n'est pas nécessairement validée et celle-ci est inévitablement présentée en parallèle, sinon mise en comparaison avec celle véhiculée dans les forums ouverts, blogues et autres réseaux sociaux, où tout un chacun donne son opinion. Qui dit vrai? Qui dit faux? C'est au consommateur de juger du professionnalisme de sa source et de faire preuve de discernement dans l'appréciation de l'information qu'il reçoit.

Qu'adviendra-t-il des guides imprimés? Compte tenu des habitudes de consommation d'information bien ancrées chez certains (les générations plus âgées) et du facteur « nostalgie » face au livre, le bon vieux bouquin trouvera encore preneur pour un temps. Certains pensent que les éditeurs traditionnels trouveront leur compte dans la production d'ouvrages d'« inspiration au voyage » : de beaux livres d'images pour contempler une destination avant ou après le véritable périple, ou encore des guides sur des destinations de niche ou sur des thématiques spécialisées. Mais même là, la compétition des nouvelles plateformes n'est pas loin derrière : Lonely Planet offre déjà l'application 1000 Ultimate Experiences comme outil de séduction. On n'arrête pas le progrès... et sûrement pas la technologie!

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