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  • Crédit: Jeanette Zehentmayer

Pour que tout baigne : échantillonner soi-même l’eau des rivières

Vous doutez de la qualité bactériologique de l’eau dans laquelle vous surfez ou trempez votre kayak? Testez-la!

« Vous auriez pu aller ramasser des pommes ou vous promener dans un parc, lance Daniel Green. Mais non : vous êtes ici pour échantillonner du pipi et du caca! ». Debout devant une vingtaine de bénévoles rassemblés dans un café de Joliette, le responsable du Réseau d’inspection et de vérification des eaux (RIVE) vient de donner le ton. Autour d’eux s’entasse un drôle d’attirail : petites bouteilles, gants de latex, désinfectants, cartes et glacières.

Motivé par le peu de surveillance et de diagnostics de la pollution des cours d’eau par les gouvernements, un regroupement composé du Sierra Club, de la Société pour vaincre la pollution ainsi que l’organisme Eau Secours! a lancé le programme RIVE, qui incite les citoyens à devenir des inspecteurs. Kayakistes, canoteurs et marcheurs se sont donc déplacés pour échantillonner la rivière L’Assomption, dans Lanaudière. Sur les 45 endroits analysés, près de 30 dépasseront les 200 coliformes fécaux par 100 ml, indiquant une eau de mauvaise qualité. Et 16 recevront l’étiquette « pollué » parce qu’ils dépassent les 1000 coliformes par 100 ml. Si cela n’est qu’un échantillonnage sommaire, ces taux sont si élevés qu’on déconseille le kayak et le canot à certains endroits.

Échantillonnage 101

La méthode RIVE : Il faut rincer à trois reprises une bouteille stérile ainsi que son bouchon et la remplir avec l’eau qui soulève notre inquiétude. On garde celle-ci au frais jusqu’au « laboratoire ». On remplit ensuite les puits d’une coli-plaquette (un petit coffret en plastique tapissé de 96 cylindres creux au fond desquels repose un produit qui réagit aux coliformes) selon les indications du fabricant. On dispose la coli-plaquette dans un incubateur maison fabriqué avec une boîte de carton, du papier d’aluminium et une lampe tungstène. Cuisson : 35 oC pendant 24 heures. La présence de coliformes se confirme si des puits virent au bleu. Il suffit ensuite de les dénombrer pour déterminer la qualité de l’eau liée à la pollution bactériologique. L’eau est considérée de médiocre qualité si un minimum de 32 puits tournent au bleu (près de 100 coliformes par 100 ml). La baignade et les autres contacts directs avec l’eau sont compromis si plus de 52 puits se colorent (indiquant une eau de mauvaise qualité avec au moins 200 coliformes fécaux par 100 ml). Toutes les activités sur l’eau sont compromises lorsqu’il y a plus de 91 puits colorés. Ceux qui disposent d’une lampe ultraviolette peuvent aussi dénombrer le nombre de coliformes de type E-coli dont certaines souches rendent malade. Durant toutes ces étapes, prenez vos précautions : portez des gants de latex et ayez sous la main le désinfectant.

Pour plus d’information :
> Programme RIVE : quebec.sierraclub.ca/campagnes/rive
> Coli-plaquetteTM : bluewaterbiosciences.com

Depuis l’été 2007, les ateliers de formation de RIVE permettent d’apprendre les rudiments de l’échantillonnage. Il est possible de connaître les résultats de la contamination bactérienne en 24 heures. Le but avoué est de déterminer et de répertorier des points de pollution des cours d’eau : usine d’épuration, pollution agricole, fosse septique, débordement d’égouts, raccordement d’égouts pluviaux et sanitaires inversé. « Au Québec, RIVE pourrait compter jusqu’à six millions d’inspecteurs, car chaque citoyen formé, encadré et possédant les bons outils peut poser un diagnostic environnemental », affirme Daniel Green.

Mais tous ne sont pas de cet avis, car la technique utilisée par RIVE est encore loin d’être précise. Pour Serge Hébert de la direction du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), la méthode RIVE constitue un bon outil de sensibilisation, mais n’est scientifiquement pas valable : « Avec le même échantillon, on peut obtenir des résultats complètement différents! Pour nous, c’est impossible d’envisager un réseau d’alerte avec cette méthode ». Daniel Green confirme que le verdict est moins précis que dans un vrai laboratoire, mais croit que son programme est important pour protéger les gens.

Manque d’information

Actuellement, trois programmes principaux de surveillance de la qualité des eaux de surface sont sous la responsabilité du MDDEP : le Réseau-rivières, Environnement-plage et un réseau de surveillance volontaire des lacs de villégiature. Mises à part celles d’Environnement-plage, les données publiques du ministère remontent à quelques années, même si des prélèvements sont continuellement réalisés. Pour consulter les plus récentes statistiques, il faut faire une demande… et être prêt à attendre : « Au mieux, cela prendra quelques mois », précise-t-on à la Direction du suivi de l’état de l’environnement.

Pour sa part, le Réseau-rivières concentre ses efforts sur 150 points d’échantillonnage répartis dans une cinquantaine de bassins versants et collecte des données pour suivre l’évolution de l’eau des rivières plutôt que pour renseigner la population. Ailleurs, quelques municipalités et des comités de bassin versant disposent également d’informations. Les autres cours d’eau sont rarement analysés. Selon Serge Hébert, un suivit serré n’est pas essentiel, car la situation de l’eau varie très peu dans les eaux des lacs ainsi que sur les plages des rivières

« Les utilisateurs manquent d’information. Si on pouvait échantillonner l’eau nous-mêmes, on aurait accès à des résultats à jour », dit Hugo Lavictoire, propriétaire de Kayak sans frontières, une école de kayak et de surf à LaSalle. Cet habitué de la vague « Habitat 67 » (non loin du centre-ville montréalais) se considère chanceux de pouvoir consulter les relevés hebdomadaires des 123 stations du Réseau de suivi du milieu aquatique de la Ville de Montréal. « Mais s’il pleut beaucoup, ces données ne sont plus fiables! », se désole le surfeur.

Crédit: Bart CoendersCe qui complique le tout, c’est que le visage de la pollution bactériologique change constamment. Si la pluie peut lessiver du fumier jusqu’au cours d’eau, certains réseaux d’égouts (dont celui de Montréal) possèdent une canalisation unique. Lorsqu’un surplus d’eau (dû à une pluie torrentielle ou à la fonte de la neige) se combine à l’eau usée, le réseau devient saturé. On ouvre alors les vannes pour délester le trop-plein. L’an dernier, cette solution a été utilisée 26 fois à Montréal et 4 fois à Québec. Des relevés sont chaque fois envoyés au MDDEP. Mais pour Hugo Lavictoire, qui patauge dans les eaux du fleuve Saint-Laurent presque tous les jours, impossible de savoir « quand la Ville pèse sur le piton! »

« Les épisodes de déversement sont connus et nuisent aux activités nautiques, soutient Coralie Deny, du Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE). Il serait plus qu’utile de savoir lorsqu’ils se produisent ». Le directeur de l’usine d’épuration des eaux de Montréal, Richard Fontaine, rétorque que la Ville de Montréal concentre ses efforts à limiter les déversements, plutôt qu’à rendre cette information disponible.

Pour pallier ce manque d’information, Hugo Lavictoire propose de créer un comité de la qualité des eaux à l’Association des surfeurs du Québec composé d’échantillonneurs formés par RIVE. Ce qui lui permettrait de maintenir ses propres données à jour. En attendant, il a changé ses habitudes avec l’expérience acquise… et quelques gastroentérites : « S’il tombe plus de 50 mm de pluie, j’attends entre 48 à 72 heures pour sortir à l’eau. Il m’arrive aussi d’annuler des cours ». Serge Hébert du MDDEP suggère aussi d’attendre 48 heures après une forte pluie pour être sûr que l’eau est de bonne qualité.

S’adapter à la pollution

« La pollution de l’eau modifie les comportements. Ça ne veut pas dire qu’on s’empêchera d’y aller, mais on ne se lancera pas à l’eau n’importe où. Sinon, on choisira un autre endroit », dit Pierre Trudel, président de la Fédération québécoise du canot et du kayak.

Daniel Green prévient que pratiquer des activités dans certains tronçons des rivières Yamaska, Châteauguay, L’Assomption ou Richelieu – pour ne nommer que celles-là – est « aux risques et périls de l’utilisateur » à cause de l’agriculture et des industries situées à proximité.

Crédit: Andrei TchernovLa pollution de nos cours d’eau revêt en effet plus d’un visage : matières organiques, fertilisants, produits toxiques, microbes, etc. D’où l’importance de bien connaître son plan d’eau : « En général, il faut toujours s’informer de la qualité de l’eau avant de pratiquer une activité », insiste Coralie Deny du CRE. Pour sa part, elle voit le programme RIVE d’abord comme un outil de sensibilisation et d’action auprès des élus.

D’autres mettent aussi en garde contre les résultats obtenus soi-même :« Quand vient le temps de déterminer le seuil de bactéries ou de toxines pour décider de boire l’eau ou de faire une activité, il vaut mieux se fier à un réseau de surveillance spécialisé plutôt qu’à des résultats maison », insiste Antonia Cattaneo, biologiste au Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie (étude des eaux stagnantes). « Un échantillonnage peut ne pas révéler un problème lorsqu’il y en un, ou vice versa ». Selon elle, pour être sûr du résultat, on doit respecter les règles de base des scientifiques : choix de l’échantillon, manipulation, homogénéité, etc. Il existe aussi des kits pour dépister les algues bleues : « À titre de curiosité, ça peut toujours servir. Mais ce n’est pas valable pour y confier sa santé! », précise Christian Deblois, chimiste au Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec. Serge Hébert du MDDEP est du même avis : « Pour un résultat fiable, il faut confier le tout à un laboratoire accrédité. »

Malgré tout, si à certains endroits la qualité de l’eau est inquiétante (qu’on pense à l’explosion des algues bleues, à ce million de litres de produits toxiques déversés par Ultramar dans le fleuve Saint-Laurent dont on apprend l’existence cinq ans plus tard, à ces produits chimiques qui ruissellent depuis la base militaire de Valcartier jusque dans la rivière Jacques-Cartier, etc.), la situation s’améliore aussi. « Il y a 10 ans, une entreprise de kayak près de Montréal aurait été inimaginable! », dit Richard Fontaine, directeur de la station d’épuration des eaux de Montréal inaugurée en 1987. Il y a à peine 20 ans, les canaux d’évacuation de la Ville acheminaient les eaux usées directement dans le fleuve : de quoi remplir plusieurs bouteilles de « pipi et de caca »!

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