Planer en traîneau à chiens au Nunavik
Dans le Nord, le vrai, la pratique du traîneau à chiens prend une tout autre dimension. Récit d’un séjour enlevant dans le Grand Blanc.
« Hey Stephan! Have you been on the other side of the world? »
C’est la première question posée par Rusty, mon jeune musher inuit.
Emmitouflé à bord d’un traîneau à chiens au cœur de la toundra arctique, la question surprend. N’y suis-je pas déjà?
Dans le Nord, le Grand, l’étonnement surgit à tout moment. Dans mon cas, la première surprise est de passer en moins de 30 minutes du tarmac de l’aéroport de Kuujjuaq à un terrain vague où les équipages canins ont été mis sur un pied de guerre par leurs mushers.
Au Nunavik, la météo dicte l’agenda. S’il fallait attendre 24 ou 48 heures à Kuujjuaq pour éviter d’être piégé par le mauvais temps, les guides n’hésiteraient pas un instant. Mieux vaut rester cloué au sol que d’y croupir gelé au cœur d’un territoire de neige et de vent. Mais aussitôt que s’ouvre une fenêtre de beau temps, ils larguent les amarres. C’est donc normal qu’aussitôt sorti de l’avion, je me retrouve vite assis à bord d’un traîneau.
Espérer retenir l’énergie des chiens alors que le musher lève l’ancre sans crier gare, c’est peine perdue. Les chiens démarrent en trombe, le passager est propulsé dans la neige, aussi surpris qu’un éperlan qui se retrouve au fond de la poêle à frire. Mais on se ramasse, on réussit le deuxième départ, et après quelques sourires en coin, on décolle pour quatre heures de découvertes arctiques.
Deux options s’offrent au client venu goûter l’expérience : être assis devant le musher qui donne ses ordres à ses chiens en inuktitut, ou alors prendre le contrôle. Bien qu’elle puisse nous faire sentir comme un touriste dans une calèche du Vieux-Montréal, la position assise n’est pas désagréable. Le frottement des patins sur la neige, les paysages sauvages, la détermination des chiens, le rythme quasi constant de leurs pas permettent de se détacher de la concentration qu’implique la responsabilité d’être au volant. En état de semi-hypnose, l’expérience est même agréable.
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Mais là où réside l’aventure, c’est aux commandes. Sans dire que la randonnée en traîneau à chiens exige la même concentration que celle d’un Lewis Hamilton derrière le volant de sa F1, ce n’est pas non plus l’équivalent d’une balade en poussette. Si le guide inuit, habitué aux conditions variables du terrain, est capable à la fois de conduire, de manger, de fumer et de boire, c’est différent pour le touriste du Sud. Mieux vaut garder le focus.
Au fil des heures, on ressent dans nos muscles la fougue des chiens. On devient vite solidaire des efforts dans les montées et dans l’allégresse des descentes.
La toundra – avec sa blancheur ponctuée d’arbustes grisâtres, de lacs bleutés et de collines –, les sons des patins du traîneau qui changent en fonction de la surface, le halètement des chiens, tout ça procure un effet euphorisant ou sédatif, selon que vous êtes passager ou conducteur. Mais qu’importe la position occupée, l’expérience est intense, hors du commun.
Après quatre heures de randonnée, le soleil a commencé à cligner des yeux. Et à notre arrivée au campement, tandis que les étoiles prennent le relais, les « locataires » inuits précédents préparent leur départ en motoneige pour un retour de quelques heures après un épisode de pêche et de chasse lucratif.
Après avoir été exposé sur une trentaine de kilomètres au froid et au vent, mon corps avait besoin d’énergie et de chaleur, malgré mes vêtements arctiques prêtés par l’agence. Les deux guides, eux, étaient sans gants ni chapeaux, le manteau détaché.
Tandis que les chiens se mettent en rond de poêle pour conserver leur chaleur durant la nuit, on s’installe dans un camp de chasseur qui se réchauffe et s’anime. Je m’approche le plus près possible de la « truie » qui nous fait passer du –30 °C à +20 °C !
Après la soupe, le repas traditionnel est préparé : steak de caribou, filet d'omble de l'Arctique, ragoût de lagopède des saules. Allen Gordon, aussi bon cuisinier que conducteur, prépare un buffet arctique qui recharge les batteries de notre trio. Des calories bienvenues qui servent de réserves pour poursuivre l’aventure du lendemain.
Après une nuit étoilée où les aurores boréales ont joué à cache-cache, notre retour s’est déroulé alors que la météo était exécrable, ce qui n’a jamais ébranlé ni les chiens, ni les guides, même dans le whiteout le plus total. Perso, c’est souvent quand la nature se déchaîne que je l’aime le plus.
Ces 24 heures des plus intenses m’auront permis de me rapprocher de la culture inuit, une communauté vivante et généreuse, qui a nourri ma curiosité et mérité mon respect. Dénuée d’artifices, cousue de subtilités, marquée par les horreurs du passé et parfois du présent, elle ne peut être comprise en quelques jours, mais on aspire à poursuivre sa découverte lors d’un plus long séjour…
Kuujjuaq © Isabelle Dubois
Conseils
Quand vient le temps de faire sa valise, il ne faut pas lésiner sur les vêtements chauds. Vous pensez en avoir assez mis? Ajoutez-en une couche! Une fois lancé dans la randonnée, vous ne pourrez pas revenir sur vos pas. Pour le reste, votre guide veille au grain.
Le coût de l’aventure
Le circuit de quatre jours, offert par Aventures Inuit, se détaille 4014 $ plus taxes, ce qui inclut le transport aérien aller-retour de Montréal à Kuujjuaq, deux nuits d’hébergement à l’hôtel de la coopérative de Kuujjuaq, une nuit sous une tente de toile chauffée ou sous l’igloo, toutes les randonnées en traîneau à chiens, tous les repas et les services de guide, une visite de la communauté inuit de Kuujjuaq et une excursion en hélicoptère au-dessus de la toundra arctique.
Pour vivre toutes les autres expériences hivernales dans les trois parcs nationaux du Nunavik, regardez la Web série du Bourlingueur au Nunavik: viago.ca